HSAV - Chapitre 177 - Ces vertes collines ont l'honneur de conserver les ossements des fidèles

 

(NT : Phrase associée à sa contrepartie : « Le fer blanc, innocent, est coulé pour forger des ministres fourbes ». C’est une paire de vers parallèles que l'on peut voir devant le mausolée de Yue Fei, héros national et général célèbre de la dynastie des Song du Sud, à Hangzhou, en Chine.)

 

Après avoir vu que le visage de Xie Chungui n’était pas naturel, l’homme comprit qu’il avait dit quelque chose qu’il n’aurait pas dû dire. Alors, il tenta de lui donner un conseil : « Toi… hé, ne sois pas comme ça. Cela fait trois ans. Regarde le bon côté des choses : bien que le nom de notre pays soit maintenant “Yan”, les impôts ne sont pas lourds et il n’y a pas de fonctionnaires corrompus ni dominateurs. Notre peuple a assez de nourriture, assez de vêtements, et nous pouvons même avoir un peu d’argent de rechange. N’est-ce pas déjà très bien ? Comme le dit le proverbe : “le plus important, c’est que les gens n’aient pas à se soucier de leur subsistance” … Hé, où vas-tu ? »

Alors que l’homme parlait encore, Xie Chungui le repoussa soudainement de côté, titubant tandis qu’il se tenait la tête d’une main.

Xie Chungui n’entendait plus les cris des passants autour de lui, et il ne voyait pas les regards étranges qu’on lui lançait. En trébuchant dans la rue, il tourna à gauche, et un manoir apparut devant lui.

La plaque de la maison était brisée, pitoyablement fracassée au sol. Les deux lions de pierre devant la porte avaient disparu, et une épaisse couche de poussière couvrait le sol, laissant une empreinte visible à chaque pas.

Xie Chungui demeura immobile devant le manoir, presque à bout de souffle, une douleur sourde lui montant de la poitrine. À mesure qu’il avançait, il tendit lentement la main pour ouvrir les lourdes portes, fermées depuis trois ans.

Une forte odeur de poussière lui frappa le visage. Il entra plus avant. La cour avant, autrefois propre et ordonnée, était désormais envahie de mauvaises herbes et jonchée de débris de murs. Alors qu’il faisait quelques pas, il donna un coup de pied à une pierre qui roula sur le côté, révélant un objet en dessous.

Cet objet, dissimulé sous les herbes folles, aurait été difficile à remarquer sans attention. En se penchant pour le ramasser, Xie Chungui découvrit qu’il s’agissait d’une vieille invitation jaunie. Les caractères étaient à peine lisibles, mais il parvint à distinguer quelques mots : « Félicitations à Li Wuding… Grand Général… »

Xie Chungui sembla s’éveiller brusquement d’un long cauchemar. Redressant son dos, il porta lentement ses mains à sa tête et s’accroupit, pinçant violemment son cuir chevelu du bout des doigts, mordant ses lèvres jusqu’à presque les faire saigner.

« Réveille-toi. »
« Il est temps de se réveiller. »
« Je ne suis pas seulement Xie Chungui, le second fils de la famille Xie… Je suis aussi le Général du Royaume du Nord ! Ma mission militaire est de combattre l’ennemi et de protéger le pays ! »

C’était comme s’il était revenu trois ans en arrière, en cette nuit enneigée, lorsqu’il convoyait les rations en chantant pour se donner du courage. Devant eux s’élevaient les volutes de fumée du feu, et derrière, les chars à bœufs chargés de vivres qu’ils n’avaient pas encore livrés à temps.

Le général adjoint de cette ville était tombé à genoux en hurlant. Chaque mot qu’il prononçait était imbibé de sang, et sa voix transperçait le cœur de Xie Chungui, plus acérée que n’importe quelle lame : « Général Xie ! Le général adjoint Nie a été décapité par Yan HeQing ! Il a eu la gorge tranchée ! Les soldats du général Nie ont brisé le siège et se sont enfuis pour nous dire que le général Li et ses hommes, partis récupérer les rations, sont tombés dans une embuscade ennemie ! Ils ont été brûlés vifs par Yan HeQing ! Tous ! »

Les cris désespérés du général adjoint de ce jour-là résonnaient encore dans ses oreilles. Xie Chungui se pinça violemment le bras, le serrant jusqu’à y laisser des marques noires et violacées. Ce ne fut qu’alors qu’il parvint à reprendre un peu le contrôle de ses émotions.

Puis il se leva et marcha pas à pas vers le hall principal du manoir Xie. À chaque pas, il retrouvait la détermination qu’il avait eue ce jour-là : celle de tuer Yan HeQing, de défendre le Royaume du Nord, de ne pas plier même jusqu’à la mort.

Mais à la fin, il avait été vaincu. Il n’avait pas réussi à protéger le Royaume du Nord.

Lorsqu’il entra lentement dans le hall principal du manoir Xie, désormais transformé en salle funéraire, il vit plus de vingt tablettes commémoratives soigneusement disposées. À l’arrière de la salle reposaient plusieurs cercueils couverts d’une épaisse couche de poussière.

Ce jour-là, lorsqu’il avait appris qu’il devait se rendre sur le champ de bataille, sa mère lui avait dit : « Fils, te souviens-tu de la devise de la famille Xie ? »
Et Xie Chungui avait répondu : « Mère, ne t’inquiète pas, ton fils s’en souvient par cœur. »

Sa mère hocha la tête et poursuivit : « Notre famille Xie est fidèle depuis des générations. Ton père et ton frère sont morts sur le champ de bataille. Ils n’eurent aucun regret pour leur loyauté. Tu ne dois pas les déshonorer. »

Xie Chungui répondit : « Mère, sois tranquille. Si l’ennemi veut pénétrer dans le Royaume du Nord, il devra enjamber mon cadavre. »

Tandis que sa mère lui caressait doucement les cheveux, elle ajouta d’une voix douce : « Si ce jour devait arriver, ne t’inquiète pas. Tu ne seras pas seul sur la route des Sources Jaunes. » (NT : Huang quan, le royaume des morts. Lieu où séjournent temporairement les âmes des défunts avant la renaissance )

Au crépuscule, le coucher du soleil teintait le ciel d’un rouge sang. À cet instant, Xie Chungui s’agenouilla devant la vingtaine de tablettes.

Les paroles de sa mère se mêlaient aux conseils que l’homme lui avait donnés aujourd’hui — l’un parlant de loyauté et de sacrifice, l’autre du peuple et de sa subsistance. Même si leurs conseils différaient profondément, aucun n’était faux.

Xie Chungui se prosterna trois fois. Lorsqu’il leva les yeux, il aperçut sa propre tablette placée dans la salle funéraire. Alors, il se releva, caressa du bout des doigts les mots gravés sur la pierre, puis entra dans le couloir du fond.

Il y avait là plus de vingt cercueils désordonnés, empilés les uns sur les autres, formant un spectacle d’une tristesse accablante. Les parents allongés à l’intérieur s’étaient depuis longtemps changés en ossements blanchis.

En les observant un à un, Xie Chungui finit par trouver le cercueil portant son propre nom. Lorsqu’il tenta de l’ouvrir de toutes ses forces, il découvrit à l’intérieur la devise familiale, en lambeaux, posée paisiblement.

Xie Chungui ramassa la devise de la famille d’une main tremblante et ouvrit la première page. À l’intérieur, il n’y avait qu’une seule phrase :
« Les descendants de la famille Xie vivront et mourront avec le Royaume du Nord !»

À cette vue, Xie Chungui ne put retenir les larmes qui jaillirent du fond de son cœur. Il monta lentement dans le cercueil, tenant contre lui l’ancienne invitation et la devise familiale. Il se recroquevilla, suffoquant presque sous le poids de sa peine.

Un vent maussade souffla dans la salle, et le son de ses sanglots résonna faiblement — un écho de tristesse et d’impuissance perdu dans la demeure des morts.

 

Traducteur: Darkia1030