Strong winds - Chapitre 103 - Comme une belle-mère satisfaite.
Bien que tous donnent en apparence l’impression d’échanger des arguments à parts égales, chacun, en son for intérieur, savait que, maintenant que l'emplacement de la tribu Wandao Yinyue avait été révélée, le poids réel des atouts en possession de chaque partie n’était plus du tout le même. Une simple brume blanche empoisonnée ne suffirait absolument pas à arrêter plusieurs dizaines de milliers de soldats stationnés dans le Sud-Ouest ; même si toute la tribu n’avait été composée que de maîtres incomparables, cela ne suffirait toujours pas.
Face à une supériorité numérique écrasante, la force individuelle se trouve en réalité réduite à l’infiniment petit. Toutefois, puisque le peuple Wandao Yinyue avait toujours vécu librement et sans entraves et n’avait jamais tremblé de peur à l’idée de sa propre mort — ce que résumait les dictons marcher sur terre sans éviter ni rhinocéros ni tigre, entrer dans une armée sans craindre ni armures ni armes, vivre sans terre où mourir (NT : image d’une existence sans attache ni crainte) — ils ne se sentaient donc nullement menacés par ces dizaines de milliers de soldats.
Néanmoins, ils acceptèrent tout de même la requête de Liang Shu. L’ancien déclara : « L’or et l’argent se trouvent dans la forêt, le prince peut aller les prendre quand il le souhaite. »
S’ils se montrèrent aussi accommodants, deux raisons l’expliquaient —
Premièrement, Son Altesse Royale le prince Xiao n’était nullement cet homme violent et belliqueux dont parlaient les rumeurs, encore moins un fou aimant pendre les gens ou les torturer à la moindre occasion. Au contraire : son apparence était belle, son discours raffiné, il acceptait d’entendre des opinions divergentes et n’hésitait pas à exprimer les siennes, cherchant autant que possible un terrain d’entente ; son caractère était franc et élégant. Rien d’étonnant, qu’à un si jeune âge, il fût capable de commander des centaines de milliers de soldats du royaume de Dayan.
Deuxièmement, il résidait dans ce camp un médecin miracle. À vrai dire, si le peuple Wandao Yinyue était venu en si grand nombre, cela avait bien moins à voir avec les dix mille taëls d’or et d’argent qu’avec le Premier jeune maître Liu.
Liu Xian’an : « Ah ? »
La femme enceinte répéta : « Pourquoi le Premier jeune maître Liu n’est-il pas venu ? » En posant cette question, elle rayonnait d’une telle joie qu’on aurait dit qu’elle n’abritait pas un enfant dans son ventre, mais une jeune fille impatiente de se marier — bien que cela paraisse quelque peu effrayant, c’était bel et bien ce que l'on ressentait.
« Mon frère aîné… » Liu Xian’an hésita légèrement. Son premier réflexe avait été d’inventer quelque mensonge du genre : « Mon frère aîné écrit une lettre à son épouse et à ses enfants», pour trancher net toute velléité amoureuse ; mais si cela amenait l’autre à refuser de remettre l’argent ? Ainsi, il se contenta d’une esquive polie : ce matin, il ne l’avait pas vu, il était peut-être parti dans un autre camp prodiguer des soins.
« Et quand le Premier jeune maître Liu reviendra-t-il ? » s’enquirent plusieurs personnes d’une même voix, l’ardeur de leur attente était plus qu’évidente. Cheng Suyue tira légèrement la manche de son frère : tu vois ? Voilà ce que signifie être recherché. Alors cesse de te vanter pour rien de ta propre popularité.
Gao Lin : « … »
Liu Xian’an répondit qu’il était difficile à dire, très difficile à dire.
Puis, pour éviter d’être davantage pressé, il détourna aussitôt la conversation : « Pour quelle raison cherchez-vous mon frère aîné ? »
L’ancien, tout joyeux, répondit : « Nous avons rencontré une fois le Premier jeune maître Liu, et l’avons fortement admiré. Dès que nous avons appris qu’il se trouvait à Shimian Gu, nous avons accouru exprès pour lui rendre visite. Et d’ailleurs, seconde question pour vous, jeune maître Liu : votre frère aîné est-il marié ? »
« Mon frère aîné n’a en tête que l’art médical et le salut d’autrui, il n’est guère fait pour fonder une famille », répondit Liu Xian’an en agitant la main. « De plus, il passe plus de six mois par an dehors, il n’aurait absolument pas le temps de s’occuper de parents, d’épouse ou d’enfants, il leur serait même difficile de le voir deux fois l’an. »
La femme sourit : « Cela n’est pas un problème. Le mariage requiert l’harmonie des aspirations. Si ma sœur pouvait épouser le Premier jeune maître Liu, elle serait certainement disposée à le suivre au bout du monde. »
À peine avait-il commencé à décliner que l’autre parlait déjà d’une sœur. Liu Xian’an pensa avec amertume que ce peuple vivant dans la forêt ne ressemblait en rien aux mystérieuses sectes des récits, qui possèdaient d’innombrables règles leur interdisant de quitter leur domaine : ici, pour un homme, on était prêt à courir au bout du monde avec une étonnante désinvolture.
Liang Shu improvisa calmement : « Le mariage du Premier jeune maître Liu n’est pas du ressort de ce prince. Lorsque, dans dix jours ou deux semaines, il reviendra de ses consultations, vous pourrez en discuter avec lui, qu’en dites-vous ? Puisque plus personne n’a rien à régler pour l’instant, pourquoi ne pas d’abord aller chercher cette somme d’argent ? Ensuite, nous pourrons encore discuter ensemble du sauvetage de Ku You. »
Un des lieutenants-généraux présents eut un bref doute. Sauvetage commun ? Son Altesse n’avait pourtant jamais mentionné cela auparavant. Depuis quand le peuple Wandao Yinyue avait-il accepté ?
Mais Gao Lin ne trouva rien là d’étrange : c’était le vieux stratagème de leur prince — proposer d’abord une requête très bizarre, puis une autre plus raisonnable ; ainsi, dans huit cas sur dix, l’autre partie finirait par choisir la demande raisonnable.
L’ancien dit en effet : « L’or et l’argent sont dans la forêt. Nos gens peuvent conduire Votre Altesse sur-le-champ. »
« En ce cas, ce prince ne se gênera pas », dit Liang Shu. « A Yue, emmène des hommes dans la forêt ! »
« Oui ! » Cheng Suyue aimait toujours s’occuper de récupérer l’argent. Elle sortit donc pour rassembler des troupes. L’ancien dépêcha un jeune homme pour guider le chemin, puis recommanda de revenir vite. Il semblait que les autres n’avaient pas l’intention de repartir avant un moment.
Liu Xian’an tira légèrement la manche de Liang Shu : que se passait-il donc ? Ils n’allaient quand même pas s’installer ici et attendre vraiment le retour de son frère aîné !
Liang Shu toussota et demanda, comme par désinvolture : « Puis-je savoir quel âge a votre sœur ? »
« Il y en a de tous âges. Celle qui conviendrait le mieux vient juste d’avoir seize ans », répondit la femme en soutenant son ventre. « Elle est belle et vive d’esprit, c’est la meilleure jeune fille de tout le peuple Wandao Yinyue. »
« Une jeune fille de seize ans n’a pas forcément à épouser le Premier jeune maître Liu. Je trouve qu’épouser un garçon de seize ans serait bien plus adapté », dit Liang Shu, jetant un regard à Gao Lin. Celui-ci, très avisé dans ce domaine, comprit aussitôt l’intention de son prince et sortit discrètement.
« Où est Xiao Chang ? »
« À l’aire de séchage des grains, derrière ! »
À cette saison, il n’y avait pas de grains à sécher, et la place vide avait été transformée en entrepôt par les troupes. Ces derniers jours, un lot de canons avait été rapporté pour révision, et Chang Xiaoqiu s’amusait à suivre le maître-artisan en examinant les plans, au point de négliger même la présence du peuple Wandao Yinyue.
Gao Lin chercha longuement autour de l’aire sans le trouver, et ce ne fut que quand il rugit bruyamment son nom qu’une voix sortit du cercle de têtes : « Ah ? »
« Comment t’es-tu mis dans un état pareil ? » demanda Gao Lin, horrifié devant ce visage noirci comme du charbon et ce vieux tablier autour du cou.
« Je ne suis pas le seul à être sale, tout le monde ici l’est », répondit Chang Xiaoqiu en s’essuyant grossièrement le visage avec sa manche, révélant à peine la teinte de sa peau. Ravi, il ajouta : « Nous irons ce soir tester nos nouveaux résultats dans la montagne. Si cela réussit, nous pourrons inviter le prince à venir voir. »
« Laisse ces canons de côté », rétorqua Gao Lin en le tirant par la manche. « Suis-moi immédiatement. »
« Où ? » demanda Chang Xiaoqiu, presque trébuchant, tenant encore un sac de poudre. «Attends que je dépose ceci ! »
« Au salon de réception, il y a des invités », dit Gao Lin. « Mais avant de les voir, change-moi d’abord cette tenue de mendiant ! »
« Le peuple Wandao Yinyue ? J’ai entendu dire qu’ils étaient arrivés », dit Chang Xiaoqiu. «Mais pourquoi devrais-je aller les voir ? »
Gao Lin ne prêta aucune attention à cet amas de questions et ramena l’autre de force tout le long du chemin jusqu’à la résidence. Les domestiques entrèrent l’un après l’autre, apportant de l’eau chaude et des huiles parfumées, remplirent la baignoire ; Chang Xiaojiu n’avait jamais vu une telle mise en scène, l’odeur le fit presque tourner de l’œil, et, agrippé au seuil avec panique, il demanda : « Que s’est-il donc passé ? »
Gao Lin improvisa au hasard : « Le peuple du Wandao Yinyue est très pointilleux : tous sont des immortels, comme le deuxième jeune maître Liu. Quand on rencontre un immortel, ne faut-il pas te faire mariner dans de l’eau parfumée d’orchidée ? C’est l’étiquette. Dépêche-toi, le prince attend encore ! »
Ici, pour Chang Xiaojiu, la mention de Liang Shu était encore plus efficace que le cri «au loup» : il retint donc son souffle, passa derrière le paravent, se dévêtit et se baigna. Il lui fallut bien du mal pour laver son corps jusqu’à retrouver sa couleur d’origine ; il pensa que l’affaire était close, mais découvrit qu’une vieille servante armée d’un grand peigne l’attendait depuis longtemps dans la chambre. Quand elle souriait, ses lèvres rouges et ses dents blanches lui donnaient un air effrayant.
Ses techniques étaient tout aussi effrayantes.
Le cuir chevelu de Chang Xiaojiu fut tiré vers le ciel, la douleur le fit hurler sans retenue, tandis que deux autres servantes s’affairaient à lui arranger vêtements et coiffure. Lorsque la toilette fut achevée, Gao Lin tourna autour pour l’inspecter, très satisfait, puis remit lui-même l’épée Pojun dans les mains du jeune homme : « C’est bon. Quand tu marches, tiens le dos droit. Allons-y ! »
Même la tenue avait été soigneusement assortie : une ceinture d’argent soulignait la taille fine du garçon. Il était mince, aux longues jambes ; malgré une silhouette encore un peu juvénile, son maintien de jeune chef d’escorte n’avait en rien diminué. Les garçons de Jianghu paraissaient toujours plus libres et indisciplinés que les hommes des camps militaires, et un garçon de Jianghu de seize ans possèdait en plus un charme adolescent. À cet instant, Gao Lin ressemblait véritablement à une belle-mère comblée : plus il regardait Chang Xiaojiu, plus il le trouvait apte au mariage.
Chang Xiaojiu eut la chair de poule sous ce regard et fit quelques pas hésitants : il sentait confusément qu’on allait peut-être le vendre. Mais Gao Lin n’allait certainement pas tolérer la moindre hésitation ; d’un coup sec, il leva le pied et l’envoya d’un geste élégant dans la pièce.
« … »
Liang Shu attrapa Chang Xiaojiu et le plaça correctement devant lui : « Voici les invités du peuple du Wandao Yinyue. »
« … Je salue les honorables seigneurs », dit Chang Xiaojiu en serrant son épée contre lui.
Et les membres du Wandao Yinyue manifestèrent effectivement un grand intérêt pour lui : « Puis-je demander qui est ce jeune héros ? »
« Je suis— »
« Chang, Chang Xiaojiu, jeune chef du bureau d'escorte de Wanli », le coupa Liang Shu, présentant lui-même la chose. « Il renonce aux vêtements brodés et à la vie de luxe de sa famille pour venir, au milieu de cette forêt sauvage, éliminer une secte démoniaque : il a courage et intelligence, et un avenir prometteur. Il y a quelque temps, lorsque la secte Baifu tenta de s’allier avec le cercle des arts martiaux des plaines centrales pour créer des troubles, c’est le jeune Chang qui chargea en premier et réduisit leur complot à néant d’un seul élan. »
Chang Xiaojiu resta stupéfait tant on le louait, manquant presque de lâcher son épée. Qui suis-je ? Où suis-je ? Comment le prince vient-il de m’évaluer déjà ? Dans sa tête, il repassa à toute vitesse les événements récents — il n’avait pourtant rien accompli de si prodigieusement héroïque !
Liang Shu lui pressa fortement l’épaule : tu vas te ressaisir !
Chang Xiaojiu se redressa aussitôt, droit comme un i.
L'ancien demanda : « Pourrions-nous emprunter l’épée du jeune héros pour l’examiner ? »
Chang Xiaojiu hésita un instant ; ceux qui pratiquaient les arts martiaux ne se séparaient jamais de leur épée. Mais, songeant à la présence du prince, il finit par la retirer et la tendit.
D’un mouvement du poignet, l’ancien fit glisser la lame d’un demi-pouce : le tranchant brillait d’un éclat glacé. Il ne put s’empêcher de louer : « Belle épée, vraiment belle ! Mais elle ne ressemble pas au Pojun ancien ; elle semble être une imitation moderne. Le jeune héros pourrait-il dire à ce vieil homme comment se nomme le forgeron qui l’a façonnée ? »
« Le forgeron ? » demanda Chang Xiaojiu. « Les seigneurs désirent aussi lui commander une épée ? »
« Non pas en forger une, mais en réparer une — une épée très importante pour notre peuple. »
Debout à la porte, Gao Lin écartait les mains en secret : que dire ? Les immortels des forêts sauvages sont décidément honnêtes, admettant aussi facilement que leur épée est précieuse — comment mon prince ne pourrait-il pas en profiter pour les dépouiller jusqu’au fond ?
Comme prévu, Liang Shu, après avoir écouté, haussa légèrement les sourcils, porta la main à son nez, puis dit d’un ton profond et lent : « Oh, un forgeron, donc… »
Traducteur: Darkia1030
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