Strong winds - Chapitre 108 - « Il est le véritable génie de la famille Liu. »
Liu Nanyuan jouissait déjà d’un très grand prestige au sein des troupes stationnées au Sud-Ouest, et, de plus, avec une beauté réputée comme la première de tout Dayan, tout le monde souhaitait la voir. Gao Lin suivit Liang Shu jusqu’aux quartiers arrière ; en chemin, ils croisèrent plusieurs groupes de jeunes soldats qui, en saluant, redressaient chacun la colonne et faisaient retentir une voix tonitruante, presque prête à fendre les cieux — preuve que, pour peu qu’il s’agisse d’un être mâle, quel que soit son rang, « déployer sa queue en roue » est un besoin fondamental.
Gao Lin secoua la tête en claquant la langue, incapable de regarder, déplorant leur absence de retenue.
Cheng Suyue, en apprenant la nouvelle, accourut avec curiosité. Lorsqu’elle franchit la porte, Liu Nanyuan venait justement d’achever sa toilette et de revêtir une belle tenue. Pensant qu’elle verrait sans doute des visiteurs, elle s’était soigneusement apprêtée : une robe bleue et une jupe blanche, gracieuces et élégantes ; quelques épingles argentées en forme de papillons retenaient ses cheveux, et lorsque leurs ailes frémissaient, ses traits semblaient plus vifs encore ; son sourire était ravissant lorsqu’elle demanda, vive et enjouée : « Cette sœur, est-ce demoiselle Cheng ? »
« Viens. » Liu Xian’an amena sa sœur vers la porte et les présenta l’une à l’autre. Cheng Suyue sourit : « Troisième demoiselle Liu, j’avais entendu parler de toi depuis longtemps. »
Elles se traitèrent d’abord selon l’étiquette, en se nommant mutuellement « demoiselle », mais lorsque Liang Shu et Gao Lin entrèrent, leurs appellations avaient déjà évolué en «sœur Cheng » et « A-Yuan », et leurs mains s’étaient jointes, donnant l’impression de s’être entendues dès leur première rencontre. Gao Lin, en voyant cela, se sentit profondément soulagé, lui qui rêvait que sa sœur trouve enfin des amies de son âge, afin de pouvoir discuter de sujets de jeunes filles, au lieu de toujours suivre le prince dans le désert pour chasser les loups, ce qui était trop sauvage.
« Mon prince », dit Cheng Suyue en se levant, « frère. »
Liu Nanyuan s’inclina également. C’était la première fois qu’elle rencontrait Liang Shu : les deux fois précédentes, à Baihe, lorsqu’elle fuyait un mariage arrangé, elle aurait voulu se faire pousser huit jambes tant elle souhaitait s’enfuir, et naturellement, s’était éloignée autant que possible. Mais à présent, c’était différent : puisque la personne que le prince voulait épouser était devenu son second frère, il convenait qu’une future belle-sœur examine soigneusement… sa belle-sœur. Vraiment très grand : lorsqu’il se tenait à la porte, il bloquait un pan entier de la lumière du ciel ; à première vue, on aurait dit que son second frère avait trouvé un dieu céleste.
« Troisième demoiselle Liu, nul besoin de tant de courtoisie », dit Liang Shu. « Puisque vous veniez au Sud-Ouest, pourquoi ne pas avoir prévenu plus tôt ? J’aurais pu envoyer des hommes vous accueillir. »
« J’avais avec moi mes propres gardes, et je n’ai pas révélé mon identité. De plus, il y a beaucoup de garnisons tout au long du trajet, c’était assez sûr. » le rassura Liu Nanyuan. «Je suis venue au Sud-Ouest parce que mon second frère me manquait. »
Bien sûr, la réalité était un peu plus complexe. Quelques mois plus tôt, tout le village de Baihe avait été frappé comme par la foudre par la lettre familiale ahurissante du Second Jeune Maître Liu. Le Maître Liu, rongé d’inquiétude, s’arrachait la moustache chaque jour ; la Maîtresse Liu ne pouvait dormir qu’avec une décoction apaisante ; quant aux oncles, tantes, cousins et cousines, tous éprouvaient une douleur cuisante au cœur.
« Comment Xiao An a-t-il pu s’éprendre de Son Altesse Royale le Prince Xiao ? » demandait-on, réellement incapable de comprendre. Le Prince Xiao — quelle sorte d’homme était-ce ? Un tempérament violent, une ardeur incroyable au combat, luttant sans dormir ni se reposer ; on disait qu’il adorait piller partout l’argent et les richesses. Cela ne pouvait être plus éloigné de notre paresseux, lui qui avait un tempérament doux, aimait dormir, et considérait l’argent comme de la poussière, au point de ne pas ramasser une pièce tombée à terre ! L’écart était trop grand !
Toute la famille s’était rassemblée pour analyser la situation. Au début, certains pensaient même qu’il s’agissait peut-être d’une stratégie militaire du Prince Xiao, requérant l’aide du village de Baihe.
« Mais avec une lettre aussi brusque et dépourvue de contexte, comment pouvons-nous coopérer ? »
« Nous n’en savons rien. »
Toute la maison était perdue, telle un moine chauve à qui manque l’essentiel. Tous se tournèrent vers le Maître Liu. Celui-ci sentit une oppression dans la poitrine et, avant de parler, demanda qu’on lui apporte deux pilules de secours pour le cœur.
Plus tard encore, des émissaires envoyés par l’Empereur arrivèrent en ville, portant avec eux des plantes médicinales précieuses comme présents. Toute la famille les assaillit de questions et finit enfin par confirmer qu’il ne s’agissait pas du tout d’une ruse : c’était bien réel.
Son Altesse Royale le Prince Xiao voulait réellement s’unir en mariage avec leur paresseux!
La moustache du Maître Liu, cette fois, était vraiment condamnée.
Quant à Liu Nanyuan, elle était curieuse à en mourir : toute cette histoire paraissait trop invraisemblable, alors elle avait trouvé un prétexte pour s’éclipser de la maison et était venue au Sud-Ouest constater de ses propres yeux.
Liang Shu demanda : « À présent que vous l’avez vu de vos yeux, est-ce confirmé ? »
Liu Nanyuan fixa les mains étroitement enlacées des deux hommes et acquiesça, tandis que les petits papillons argentés voletant dans sa chevelure s’agitaient de plus belle.
Confirmé, si confirmé que cela ne pouvait l’être davantage.
Liang Shu demanda encore en souriant : « Seulement cette lettre familiale ? Et la lettre que j’ai écrite, où est-elle ? »
À ces mots, Liu Xian’an demeura perplexe : de quelle lettre parlait-il, quelle lettre avait-il écrite ?
« La lettre que le prince a écrite a été retardée en chemin de quelques jours, c’est pourquoi elle est arrivée un peu plus tard », dit Liu Nanyuan. « Ensuite… ensuite… »
Ensuite, absolument personne n’y a cru ! Car, dans la lettre écrite de la main même de Son Altesse Royale le Prince Xiao, le contenu principal décrivait en détail comment le Second Jeune Maître Liu avait tout au long du voyage traité et sauvé des malades, le présentant comme un grand médecin sans précédent depuis les anciens et sans égal dans les temps à venir. Le Maître Liu, en la lisant, passa d’un visage stupéfait à des sourcils froncés jusqu’à l’engourdissement.
Si cette lettre était arrivée avant la lettre familiale, l’ensemble du village de Baihe aurait peut-être été frappé de stupeur, partagé entre croire et douter, et se serait appliqué à l’examiner attentivement. Mais le hasard voulut que ce fût la lettre familiale qui arriva d’abord, et comme la lettre familiale était arrivée la première, tout le monde avait déjà dû profiter — malgré eux — des louanges tendres et passionnées de leur paresseux pour Son Altesse Royale le Prince Xiao, apprenant ainsi les petites cabrioles amoureuses de ce couple nouvellement formé. Dès lors, cette lettre du Prince Xiao ne pouvait que sembler totalement dénuée de crédibilité.
Après tout, dans toute la famille, qui pouvait encore ne pas connaître le Second Jeune Maître ?
S’il pouvait s’allonger, il ne s’asseyait pas ; et s’il était possible que quelqu’un lui apporte sa nourriture directement à la bouche, c’était encore mieux.
Même Liu Nanyuan n’y croyait toujours pas à ce jour. Elle aimait son second frère, certes, mais son affection ne lui obscurcissait pas les yeux. Elle nourrissait même l’intention presque sacrilège d’éduquer un peu Son Altesse Royale le Prince Xiao : à son avis, son frère se portait très bien en restant allongé avec indolence, nul besoin de lui plaquer de force une carapace brillante et mensongère de « sauveur du peuple ».
Liu Xian’an n’accordait aucune importance à tout cela, encore moins au besoin d’expliquer, car expliquer nécessitait de parler longtemps. À cet instant, il se sentait profondément heureux simplement en regardant sa sœur, et proposa de lui-même : « Que dirais-tu que je t’emmène demain gravir une montagne ? »
Liu Nanyuan fut plutôt surprise : « Gravir une montagne ? » Elle réfléchit. « Une montagne que l’on gravit à pied ? »
« Oui, une montagne que l’on gravit à pied. Au sommet, on peut voir très loin, jusqu’à une autre montagne. »
Liu Nanyuan n’éprouvait en réalité aucun intérêt particulier à regarder une montagne puis une autre montagne plus lointaine, mais le fait que son second frère veuille monter lui-même un chemin de montagne était, pour elle, infiniment intéressant — pour qui n’appartenait pas au village de Baihe, une telle exaltation était impensable.
Il restait un moment avant le dîner, et Liu Nanyuan souhaitait à l’origine encore converser un peu avec son second frère. Mais son aîné lui lança une injonction : « Il va être l’heure de shen (NT : 15 h – 17 h), va d’abord jeter un œil aux malades du camp de l’Ouest. »
Liu Nanyuan crut qu’il s’adressait à elle, répondit d’un « oui » et voulut se rendre au chariot pour prendre ses sacs de médecine, mais A-Ning avait déjà passé en bandoulière une boîte, et sortit de la pièce à grandes enjambées en disant : « Troisième Demoiselle, reposez-vous. Je vais accompagner le Second Jeune Maître. »
« … »
Liu Nanyuan demanda avec prudence : « Ce sont… quelles maladies ? »
Aussi légères que cela ? Au point que mon second frère puisse lui-même aller les traiter ?
« La plupart sont des séquelles laissées par le champ de bataille. L’humidité du Sud-Ouest est lourde, il faut redoubler d’attention dans les soins », dit Liu Xian’an. « Continue de manger les gâteaux, je reviens après un rapide examen. »
En disant cela, son attitude et son ton étaient exactement ceux d’un certain autre grand frère. Liu Nanyuan en fut très surprise, mais lorsqu’elle regarda autour d’elle, il semblait que tout le monde, sauf elle, trouvait cela parfaitement normal. Elle devint encore plus curieuse. Manger des gâteaux ? Elle n’en mangea plus, et décida de suivre pour observer.
Une fois qu’elle vit, ce fut encore plus incroyable.
Debout à la porte de la salle de consultation, elle vit son second frère agir avec habileté et rapidité, utiliser des aiguilles, changer les bandages d’un geste fluide, et poser ses questions avec un professionnalisme complet. La scène était réellement trop étrange. Liu Nanyuan se pinça le bras — douleur. Elle demanda alors, la voix rarement hésitante : « Grand… grand frère ? »
« L’histoire n’est pas si longue », dit Liu Xianche. « Pour faire bref : il a toujours su faire, il était simplement paresseux. »
« P… paresseux ? Il peut être paresseux à ce point ? »
« Oui. S’il n’avait pas rencontré Son Altesse, il aurait pu être paresseux toute sa vie. »
« Cacher toute sa vie son art médical ? »
« Ce n’était pas volontairement caché », réexpliqua Liu Xianche. « Il était simplement paresseux. »
Liu Nanyuan savait que son second frère était paresseux, mais elle ignorait qu’on pouvait l’être à un tel degré. Cependant, une autre question la troublait encore : « Mais mon second frère n’a jamais suivi beaucoup de leçons avec nous. Comment peut-il “avoir toujours su” ? Depuis toujours, il… à moins qu’un maître retiré du monde ne lui ait secrètement transmis l’art médical dans le pavillon sur l’eau ? »
« Aucun maître. Seulement les livres du pavillon d’étude, il a appris seul. »
Liu Nanyuan aspira fortement une bouffée d’air. On pouvait vraiment apprendre cela en autodidacte ?
« Toi comme moi avons une aptitude inférieure à celle de Xiao An, c’est pour cela que nous devons compenser par l’assiduité », dit Liu Xianche. « Il est le véritable génie de la famille Liu. »
Il n’avait jamais prononcé ces mots devant Liu Xian’an, mais à présent il ne se privait pas d’exprimer cela devant sa sœur, les commissures de ses lèvres légèrement relevées, comme s’il en tirait une certaine fierté. Liu Nanyuan porta la main à ses tempes et les massa : sa tête bourdonnait encore. Son second frère, ce paresseux, venait soudain de devenir un prodige de la médecine, et son grand frère, d’ordinaire impassible, affichait maintenant une expression de quelqu’un qui aurait trouvé un trésor. Elle estimait avoir besoin d’un moment pour se calmer.
À distance, Liang Shu se tenait à la porte de la cour, arborant lui aussi une expression mi-souriante, mi-sérieuse, mais manifestement de très bonne humeur. Aussi Gao Lin, les mains dans les manches, lui rappela à voix basse : que cela suffisait maintenant, sinon, pour qui ne savait pas, on aurait pu croire que le prince, à la vue d’une jolie jeune femme, ne pouvait contenir sa joie et restait planté là, tel un rocher attendant son épouse, bêtement souriant ; si cela se répandait, ce serait dommageable pour la réputation chaste et pure de la demeure du Prince Xiao.
« Que sais-tu », dit Liang Shu. « Tel qu’il est maintenant, il faudrait que tous les habitants du village de Baihe le voient ainsi. »
« Mais le Second Jeune Maître Liu ne s’en préoccupe pas », dit Gao Lin. « Tout ce qui est gloire ou renom, n’est que vanité, n’est que nuages flottants. »
« Moi, je m’en préoccupe. »
« … »
Gao Lin, dans son esprit, répondit de manière insolente et provocante — comment pourrait-il en être autrement, c’était si banal.
Liang Shu leva la jambe et donna un coup de pied.
Gao Lin n’eut pas le temps d’esquiver. ‘Je n’ai même rien encore dit’, pensa-t-il.
« Tu n’as pas besoin de parler. Une affaire si minime est déjà toute écrite sur ton visage », dit Liang Shu, ramenant son regard sur Liu Xian’an, d’un ton parfaitement naturel. « Cet homme, je l’ai tiré des nuages de mes propres mains ; il est donc naturel que je m’occupe de tout ce dont il a besoin pour vivre sur terre. La renommée, la demeure dorée, peu lui importe. Dois-je vraiment le laisser tomber ? »
Gao Lin focalisait sur un point un peu à côté : pourquoi fallait-il construire une maison dorée ? L’Empereur n’accepterait jamais, et les vieillards du gouvernement viendraient sans doute encore se lamenter et se cogner contre les colonnes. Ne pourrait-on pas se contenter d’une somptueuse mais ordinaire demeure ? Il pensait que le second jeune maître Liu n’était pas très exigeant sur ce point.
Liang Shu répondit : « Impossible. »
Gao Lin demanda : « Pourquoi impossible ? »
« Parce que, dans un autre monde, il m’a construit une immense maison dorée pouvant accueillir trente mille personnes buvant du vin tout en chevauchant des grues, emplie de toutes sortes de merveilles et de trésors extraordinaires », dit Liang Shu. « Cela s’appelle rendre la pareille selon les rites. »
Gao Lin : « … »
Imaginer qu'un grand manoir puisse suffire à retenir notre prince, n'est-ce pas un peu trop naïf ? Vraiment, je pense que nous pourrions valoir un peu plus, si l'on y regarde de près.
Traducteur: Darkia1030
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