Strong winds - Chapitre 92 - Quelle humiliation ! La résidence du Prince Xiao est écrasée jusqu’à terre !

 

Comme tout le monde s’y attendait, l’affaire de la « résurrection » de Song Changsheng mit en pièces les doctrines sacrées de la secte de Baifu, les perçant comme un tamis.
Surtout qu’au moment de la mort du forgeron, ces gens-là, pris d’un orgueil démesuré, avaient proclamé partout que « la Sainte Mère de Baifu châtie les traîtres ». Résultat : le « traître » non seulement ne fut pas châtié, mais vécut plus florissant que jamais.
Lorsque la nouvelle parvint au repaire de la secte, le Maître entra dans une colère furieuse, et même Feng Xiaojin, qui d’ordinaire ne se mêlait pas de ces affaires, avertit Liu Hengchang de ne pas trop parler ni trop questionner ces temps-ci, de peur d’attirer le malheur sur lui.

« D’accord. » répondit Liu Hengchang en hochant la tête à plusieurs reprises.

Feng Xiaojin jeta un regard au panier de médicaments qu’il tenait : « Ces sorciers-médecins ne t’autorisent toujours pas à soigner Yunyou ? »

« Oui, mais ce n’est pas eux qui l’interdisent, c’est le Maître, » précisa Liu Hengchang. «Cependant, l’interdiction s’assouplit peu à peu : j’ai pu prendre son pouls, et la blessure du jeune maître Yunyou s’améliore graduellement. Il n’y a pas lieu de trop s’inquiéter. »

« Sa blessure, pour l’heure, est presque une bonne chose, car il n’a plus à faire face à Liang Shu, » dit Feng Xiaojin. « Ce n’est pas Yunyou qui m’inquiète le plus, mais Yunle ; elle n’est pas rentrée depuis de nombreux jours. »

Liu Hengchang essaya : « On dit que Mademoiselle Yunle reçoit les hommages des fidèles venus de toutes les régions. Jamais encore elle n’avait été aussi affairée, c’est comme si… »

…comme si elle concentrait toutes ses forces pour, dans le temps le plus court, rallier le plus grand nombre de cœurs et susciter le plus grand désordre.
À présent, de nombreux villages et bourgs du Sud-Ouest étaient déjà plongés dans un brouillard noir et des miasmes pestilentiels (NT : dans un désordre extrême).

« Ne te mêle pas de ce qui ne te regarde pas, » conseilla Feng Xiaojin en fermant les yeux. «Va voir Yunyou, le Maître doit se trouver dans sa chambre. »

Liu Hengchang baissa la tête et sortit. Au loin, un rayon de soleil couchant enveloppait la montagne de jade.

*

Liu Xian’an tendit la main, essayant d’attraper la lumière du soleil entre ses doigts ; mais la lumière glissa et s’échappa, et ses doigts furent saisis en chemin par quelqu’un.

Liang Shu referma sa main sur la sienne : « Ne cherche pas toujours à saisir des choses insaisissables ; prends ce qui est réel, que l’on peut voir et toucher. »

Par exemple, Son Altesse Royale le Prince Xiao lui-même : on pouvait à la fois le voir et le toucher, bien réel.
Liu Xian’an lui sourit, et son sourire força Gao Lin à lever encore la main pour faire signe à tous les gardes derrière eux de suspendre leur marche : vraiment, il en était convaincu, dans tout le Sud-Ouest, même si l’on déployait des centaines d’éventails de paons, aucun ne pourrait se comparer à l’éclat que déployait leur Prince ! Comment donc faisait-il pour, à chaque pas, trouver encore le moyen de provoquer le jeune Maître Liu ?

Heureusement qu’il restait encore des affaires militaires à traiter dans la ville du campement ; sinon, en temps de paix, pour gravir cette petite montagne, il leur aurait fallu avancer trois pas et se reposer deux, prenant une année entière.
Gao Lin marmonnait intérieurement en silence. Cheng Suyue, la voix déjà un peu remise, refusait néanmoins d’écouter les bavardages de son frère juré, si bien que le lieutenant-général Gao dut ravaler ses paroles, décidé à tout déverser sur Ku You une fois de retour en ville.

Leur groupe rentrait enveloppé des rumeurs.

Chang Xiaoqiu demanda : « Quelles rumeurs ? »

A-Ning fit le tour pour s’informer, puis revint dire : « Rien de spécial, toujours les vieilles rengaines moisies de la secte Baifu, simplement agrémentées de quelques nouvelles variantes. »

Par exemple : certains disaient que Liang Shu faisait lui-même partie des démons, que si Song Changsheng avait pu ressusciter, c’était parce qu’il manipulait tout en secret. Son corps semblait vivant, mais son âme demeurait fermement tenue dans la main de la Sainte Mère de Baifu.
Un démon ainsi rebelle au destin, fabriquant des pantins, attirerait nécessairement sur le Sud-Ouest des désastres montant jusqu’au ciel (NT : des malheurs d’une ampleur incommensurable).
Et la suite du discours, tout le monde la connaissait : on en revenait toujours à la même vieille conclusion : « Si l’on veut écarter le mal et chasser les démons, il faut offrir un culte à la Sainte Mère de Baifu. »

Chang Xiaoqiu fronça les sourcils : « S’ils propagent maintenant ces rumeurs de démons porteurs de malheur, ils passeront forcément à l’action ensuite. »

A-Ning hocha la tête : « Mon jeune Maître dit la même chose : la sectee Baifu, ayant perdu la face dans l’affaire de M. Song, cherchera sûrement à se racheter ailleurs. C’est pourquoi Son Altesse Royale se hâte jour et nuit pour retourner à la ville du campement. »

Chang Xiaoqiu se rapprocha de lui et demanda : « Et qu’a encore dit le jeune Maître Liu ? A-t-il dit que le Prince allait mobiliser les troupes pour attaquer ? »

A-Ning le regarda, étonné : « Pourquoi ai-je l’impression que tu as l’air très heureux ? »

« J’admire Son Altesse Royale depuis de nombreuses années ; pouvoir enfin combattre à ses côtés sur le champ de bataille, n’est-ce pas une raison légitime d’être heureux ? »

« Je ne vois pas les choses ainsi, » dit A-Ning en secouant la tête. « La guerre s’accompagne inévitablement de pertes humaines. Beaucoup de mes aînés, après être revenus du front, rêvaient encore de mers de sang et de membres mutilés, souffrant de cauchemars et de frayeurs pendant des mois. Et ils n’étaient que de simples médecins militaires. Quant aux soldats qui doivent charger en première ligne, ils affrontent des scènes bien plus cruelles encore. Faire la guerre n’a donc rien de réjouissant. »

Chang Xiaoqiu resta sans voix devant ces paroles fermes et sonores. Après un moment, il parvint à dire : « Mais les effusions de sang de la guerre ne servent-elles pas à conquérir une paix plus durable ? »

« Je n’ai pas dit que la guerre était une mauvaise chose. La guerre est nécessaire ; simplement, il ne faut pas s’en réjouir trop ouvertement. C’est une affaire des plus graves. »
A-Ning lui mit les objets qu’il tenait dans les bras : « Allez, porte ça un moment, je vais aider mon jeune Maître à descendre de cheval. »

Les portes de la ville du campement étaient déjà en vue.
A-Ning courut, mais n’arriva pas à temps : Liang Shu tenait Liu Xian’an dans ses bras et l’aida à descendre légèrement de cheval.
À peine Liu Xianche eut-il franchi la porte de la ville qu’il aperçut cette scène d’intimité entre eux ; sa poitrine se serra — en plein jour, quelle indécence !

« Grand frère ! » Liu Xian’an courut vers lui.

L’expression de Liu Xianche se détendit un peu ; il rattrapa d’abord son cadet, puis s’inclina vers Liang Shu : « Prince. »

« Premier jeune maître Liu, nul besoin d’autant de cérémonies entre nous, » Liang Shu demanda, « comment vont les yeux de Ku You ? »

Liu Xianche ne répondit pas tout de suite. Il envoya d’abord son frère se reposer dans ses appartements. Liu Xian’an poussa un profond soupir. Tu vois, je l’avais bien dit : dès que Grand frère apprendra que je connais moi aussi la médecine, ma vie deviendra bien plus compliquée, au minimum, il y aura toutes sortes d’examens qui ne cesseront jamais. Après tout, au Pavillon du Héron Blanc, chaque disciple sur le point de pratiquer seul doit passer une série d’évaluations rigoureuses. Et quelqu’un comme moi, sorti sans autorisation, seulement armé d’un savoir autodidacte, ne serait certainement pas approuvé. Si Père l’apprenait, il me punirait sans doute.

« Certainement pas, » dit A-Ning, « si le Maître du Pavillon apprenait les talents de mon jeune maître, il serait bien trop heureux. »

« Heureux ou non, cela ne l’empêchera pas de me punir, » répondit Liu Xian’an en s’essuyant le visage avec un mouchoir. « Une chose est une chose, la règle est la règle. Hum… Mais au sein de la résidence du Prince Xiao, il n’y a pas tant de règles. Le Prince dit que désormais, tout se fera selon ma volonté. »

Eh bien non, pensa A-Ning en silence, le jeune maître est choyé par le Prince jusqu’au ciel : s’il veut du sucre, il reçoit du sucre, s’il veut se reposer, il se repose.

Vu sous cet angle, c’était vraiment bien que le Premier Jeune Maître soit là. Au moins quelqu'un pourrait le gérer.

Liu Xian’an, après une brève toilette, se rendit dans le grand salon. Tout le monde était présent. Ku You, assis droit sur sa chaise, avait une bande de tissu nouée sur les yeux. Privé de vue, son ouïe s’en trouvait d’autant plus affinée ; il prit l'initiative de le saluer : « Deuxième jeune maître Liu.

Liang Shu venait tout juste d’apprendre de Liu Xianche la condition de Ku You, et il avait désormais en tête toutes les réponses correctes. Mais il ne pouvait en prononcer une seule, obligé de regarder Liu Xian’an examiner Ku You, puis s’asseoir à une table et noter soigneusement les étapes du traitement.

Le commandant Ku, perplexe, demanda : « Pourquoi tout le monde se tait-il soudain ? »

Eh bien, évidemment qu’on se tait. As-tu jamais vu un examen où quelqu’un ose parler ? Gao Lin tapa sur l’épaule du candidat en plaisantant : « Que veux-tu, que je t’accompagne de quelques vers ? »

Ku You resta sans voix. Par pitié, un peu de compassion pour cet aveugle malheureux.

Mais nul n’avait le loisir de s’en soucier. Dans la pièce, chacun était à son poste : les surveillants surveillaient, les accompagnants accompagnaient. À mi-parcours, Liu Xian’an fronça les sourcils et cessa d’écrire, visiblement embarrassé par la question.

Voyant cela, Liang Shu se racla la gorge et se leva comme si de rien n’était : « Ce prince… »

Mais à peine fit-il deux pas que le fils aîné Liu le bloqua aussitôt.

Gao Lin porta la main à son front. Quelle humiliation ! Vraiment, la résidence du Prince Xiao était couverte de disgrâce, vaincue au point d’être à terre et couverte de poussière.

Seul Ku You, ignorant, continuait à tâtonner : « Que se passe-t-il ? Est-ce encore la secte Baifu ? »

Gao Lin lui mit un pruneau acide dans la bouche : « Pas si vite, ce n’est pas encore le tour de la secte Baifu, reste tranquille. »

Pris de court, Ku You en grimaça de douleur.

Liu Xian’an mit un bon moment à terminer l’ordonnance, puis la présenta des deux mains à son frère. Liu Xianche, après lecture, ne dit ni « juste » ni « faux » ; il se contenta de déclarer: « Après le repas, viens avec moi dans le cabinet d’étude. »

Tout dans son ton annonçait une punition. Liu Xian’an, tête basse, répondit d’un « oh » éteint, se frottant les paumes pour les réchauffer à l’avance, en prévision. Liang Shu, voyant cela, en eut le cœur serré ; il le tira vers lui et murmura à son oreille : « Ne t’en fais pas, j’irai avec toi après le repas. »

« Pour me voir recevoir les coups ? »

« Pour t’empêcher de les recevoir, » répondit Liang Shu. « Et si cela ne suffit pas, je prendrai la punition à ta place, cela te conviendrait-il ? »

Liu Xian’an, bien que peu attaché à l’étiquette, savait que pour son frère, simple civil, lever la règle contre un prince serait exagéré. Il ne prit donc pas la promesse au sérieux. Mais après le repas, Liang Shu l’accompagna bel et bien dans le cabinet d’étude.

Liu Xianche, surpris, demanda : « Votre Altesse avait quelque chose à dire ? »

Liang Shu, impassible : « Je suis venu écouter aussi la médecine. »

« Mais c’est fort ennuyeux, » rappela Liu Xianche.

Liang Shu sourit : « Peu importe. »

Aussi ennuyeux que ce fût, cela ne saurait l’être davantage que les leçons des vieux lettrés à barbe blanche du cabinet impérial. Même en récitant : « C’est pourquoi l’homme sage reste sur ses gardes même en ce qui n’est pas vu, et demeure craintif même en ce qui n’est pas entendu » , il avait réussi à rester éveillé alors — il survivrait bien à cela.

(NT : citation du Livre des Rites. Le sage, modèle de vertu confucéen, garde la même droiture dans la solitude que sous le regard d’autrui et conserve sa morale en toute circonstance)

De petites choses, tout cela n’est que de petites choses.

Voyant sa résolution, Liu Xianche n’insista pas et ordonna qu’on serve au Prince Xiao une forte infusion de thé, avant de l’ignorer. Il entreprit alors, à la lumière de la lampe, d’enseigner à son frère comment soigner la maladie de Ku You. Le traitement de la cécité dorée nécessitait une riche expérience pratique, très différente des connaissances que Liu Xian’an avait survolées dans ses livres. Il écoutait, penché sur la table, concentré et attentif.

Jamais Liu Xianche n’avait vu son frère ainsi. Ému, voyant qu’il n’avait même pas de pinceau pour noter, il cessa d’être irrité. Il savait que son cadet avait un esprit vif et une mémoire hors du commun, et l’en chérissait davantage encore. Tous deux, partant du cas de Ku You, parlèrent de la cécité dorée et d’autres affections de l’œil ; ils discutèrent si longtemps que même le chant des cigales du jardin s’éteignit, avant qu’ils ne concluent, à regret, leur échange.

En se retournant, ils virent le Prince Xiao, une main soutenant sa tête, immobile sur la table — profondément endormi.

« … »

Liu Xian’an s’empressa de dire : « Grand frère, rentre te reposer, je vais réveiller le Prince. »

Liu Xianche hésita, puis renonça à parler, las au point de ne plus vouloir dire un mot.

Quand il fut parti, Liu Xian’an s’approcha à pas feutrés de Liang Shu et, à la lumière, observa attentivement ses traits. Bien qu’ils aient déjà partagé maintes fois la même couche, il dormait toujours jusqu’à midi, et n’avait donc jamais contemplé son visage assoupi. En le regardant ainsi, son cœur s’amollit ; il tendit un doigt pour tracer le contour de ses traits, mais fut soudain tiré dans ses bras.

Liang Shu n’ouvrit pas les yeux. Souriant, il baissa la tête et se frotta doucement contre lui : « Encore en train de faire des bêtises ? »

« Je ne fais rien, » répondit Liu Xian’an, blotti contre sa poitrine. « Pourquoi Son Altesse n’est-elle pas sur ses gardes ce soir ? »

« Pourquoi le serais-je ? Il n’y a aucun danger dans cette pièce, » dit Liang Shu d’une voix endormie. « En entendant le son de tes pas et de ta voix, je ressens une paix profonde. »

Dans ce demi-sommeil, il eut l’impression de retourner au temps de son enfance, avant qu’il n’eût grandi, avant que les soucis de l’empire ne remplissent son cœur — quand, après une faute, son frère aîné le couvrait toujours, insouciant et libre. Il se rendit compte qu’il n’avait pas éprouvé cela depuis fort longtemps ; il en chérissait d’autant plus l’instant, gardant les yeux clos, voulant entraîner l’être dans ses bras jusque dans son rêve — tous deux assis dans une petite barque, sous la lune, contemplant les étangs de lotus et les chants de grenouilles du palais.

Liu Xian’an l’installa sur un divan moelleux dans un coin, lui ôta bottes et chaussures, le couvrit d’une couverture, et raviva le brasero.

Puis, ne voulant pas retourner seul dans sa chambre, il s’enroula dans son manteau et s’endormit, la tête posée sur la table.

De son côté, A-Ning, voyant que le Premier Jeune Maître était déjà rentré tandis que son propre maître ne revenait pas, pensa qu’il devait être puni pour ses lacunes et passer la nuit à copier des textes. Il n’osa donc pas le déranger. Après une longue nuit, au matin, alors qu’il s’apprêtait à sortir, Liu Xian’an traversa lentement le jardin, se massant le cou endolori.

« Jeune maître ! » A-Ning accourut. « Vous n’avez pas dormi, vous devez être épuisé, venez boire un peu de bouillon chaud. »

« Cela va encore, » répondit Liu Xian’an, grimaçant, « j’ai seulement le cou raide. Masse-le-moi un peu, et puis, préviens le lieutenant-général Gao : dis-lui que le Prince se repose encore dans le cabinet d’étude. »

« Le Prince a veillé toute la nuit auprès de vous ? »

« C’est moi qui ai veillé auprès du Prince. »

A-Ning, stupéfait, pensa avec effroi : qu’y a-t-il donc à surveiller chez le Prince ? Est-ce que le Premier Jeune Maître oserait désormais punir le Prince en le forçant à copier des livres ?

Quelle inconvenance !

Gao Lin, lui, n’y songea pas. Son maître n’était de toute façon pas homme à copier des textes; il envoya donc seulement les serviteurs préparer son service.

Sans Liu Xian’an à ses côtés, le sommeil de Liang Shu devint plus agité. Il s’assit, la tête lourde et le front plissé, jeta un regard autour de lui et formula sa première pensée du jour : Comment ai-je pu dormir ici ?

 

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L’auteur a quelque chose à dire:
Xiao Liang en apprentissage : zzzZ…



Traducteur: Darkia1030