TTBE - Chapitre 22 - Le prince n’est pas content

 

Le commis, impatient, repoussa An Changqing et ses deux compagnons jusqu’à la porte, puis cracha violemment à leurs pieds.

An Changqing observa son attitude, si assurée et dépourvue de la moindre gêne ; manifestement, ce n’était pas la première fois qu’il traitait ainsi les clients. Il fronça les sourcils et, d’un regard désapprobateur, le toisa : « Avec une manière pareille de faire des affaires, je crains que votre commerce ne dure pas longtemps. »

Le commis ricana : « Tu te mêles de bien des choses. J’ai pas le temps de bavarder, allez, circule, circule ! »

Au moment où il parlait, le gérant descendait justement de l’étage en plaisantant avec un jeune homme vêtu de soie. En voyant le commis traîner encore au seuil, il le pressa avec impatience : « Zhang Si, que fais-tu donc ? Il reste encore un lot d’étoffes à vider de l’entrepôt, dépêche-toi ! »

Le commis rentra la tête dans les épaules et répondit en se retournant : « J’y vais tout de suite. Ces gens trouvent nos vêtements trop chers, ils chipotent là-dessus. »

Et, sans plus s’occuper d’eux, il fila vers l’arrière-boutique.

Le gérant détailla du regard les trois visiteurs, puis s’avança avec une révérence polie :
« Messieurs trouveraient-ils les habits du Tian Yi Fang un peu trop chers ? »

L’attitude du gérant était bien plus courtoise que celle du commis ; An Changqing relâcha donc légèrement son expression, pensant que ce dernier n’était peut-être qu’un employé maladroit. Il acquiesça : « En effet. Deux taels d’argent pour une robe matelassée, c’est vraiment excessif. »

Le gérant se caressa la barbe avec un air satisfait : « Ah, c’est que vous ne savez pas ! Le Tian Yi Fang n’est pas une échoppe ordinaire ; nos tailleurs cousent pour les hauts dignitaires de Yejing. Les vêtements qu’ils réalisent valent naturellement un prix supérieur.»

An Fu ne put s’empêcher de répliquer : « Même si c’était cousu par les tailleurs du palais, cela resterait une robe matelassée ! Pourquoi serait-elle si chère ? Faire du commerce ainsi, est-ce une façon correcte de traiter les clients ? »

Le visage du gérant se figea, puis il se maîtrisa et força un sourire : « Le commerce, c’est du donnant-donnant : qui veut acheter, achète, qui ne veut pas, ne le fait pas. Si vous trouvez le prix trop élevé, nous n’y pouvons rien, n’est-ce pas ? »

An Changqing observa attentivement son expression. D’abord, la courtoisie du gérant lui avait fait croire qu’il différait du commis, mais à présent il comprit qu’ils étaient de la même espèce : serpent et rat d’un même nid, complices jusqu’à la moelle. Le commis affichait sa bassesse au grand jour, tandis que le gérant, lui, cachait sa fourberie derrière un sourire mielleux, capable de transformer le noir en blanc sans ciller.

An Fu voulut poursuivre la discussion, mais An Changqing leva la main pour l’en empêcher : « Assez, allons voir ailleurs. »

Il n’était venu que pour sonder la situation, et bien qu’il fût tombé sur une telle scène, il ne comptait pas provoquer d’incident. Il n’avait donc pas révélé son identité et souhaitait profiter de l’occasion pour examiner d’autres boutiques.

Mais il n’avait pas l’intention de chercher querelle — la querelle vint à lui d’elle-même.

Le jeune homme qui descendait avec le gérant n’avait encore rien dit ; voyant An Changqing s’apprêter à partir, il sourit d’un air mielleux : « Jeune maître , attendez donc un instant. »

An Changqing s’arrêta net et se retourna : « Y a-t-il un problème ? »

L’homme, âgé d’une vingtaine d’années, avait une silhouette épaisse et trapue ; sa chair blanche et molle débordait de sa robe de soie rouge sombre, si bien qu’il ressemblait à un mantou (NT : pain blanc cuit à la vapeur) enveloppé de soieries — à la fois ridicule et grotesque. Mais lui se croyait plein de charme ; en plein hiver, il agitait même un éventail pliant. Il le déploya et l’agita deux fois, avant de dire : « Les vêtements du Tian Yi Fang sont effectivement excellents. Si le jeune maître en désire un, choisissez ce qu’il vous plaira : c’est moi, Zhao, qui paierai. »

« On ne reçoit pas un don sans raison » (NT : idiome signifiant qu’il est inconvenant d’accepter une récompense sans mérite). An Changqing fronça légèrement les sourcils, percevant dans le regard de l’homme une lueur malveillante. Il voulut se retirer.

Mais ce « mantou blanc » fit un pas pour lui barrer la route, un sourire toujours plus lubrique aux lèvres : « Allons, jeune maître, ne partez pas si vite. Vous me plaisez, j’aimerais faire votre connaissance. Ma boutique se trouve tout près, venez donc chez moi ; tout ce que vous voudrez acheter, vous l’aurez ! »

Ses paroles devenaient de plus en plus inconvenantes, et il voulut même poser la main sur An Changqing. Celui-ci s’apprêtait à réagir, mais Zhou Helan fut plus prompt encore : il abattit son poing avec force sur la large figure du « mantou ».

L’homme poussa un hurlement à fendre le cœur, se couvrant le visage : « Comment osez-vous frapper ce jeune maître Zhao ! À moi ! Qu’on les attrape et qu’on les ligote ! »

À ces mots, six ou sept gaillards à l’allure de domestiques surgirent brusquement — nul ne savait où ils se cachaient jusque-là — et encerclèrent les trois compagnons.

Autour d’eux, les badauds, flairant le spectacle, accoururent et se pressèrent pour mieux voir la scène.

Le gérant, craignant que cela ne tourne mal, tenta d’intervenir : « Jeune maître Zhao, il y a foule ici, mieux vaut éviter les ennuis. »

Mais le jeune maître Zhao, hors de lui, hurla : « Éviter les ennuis ? Personne n’a jamais osé lever la main sur moi ! »

Il retroussa ses manches et ordonna : « Attrapez-moi le plus beau ! Je vais lui donner moi-même une leçon ! »

Les domestiques s’apprêtaient à se jeter sur An Changqing. Ce dernier n'allait pas rester là à être une cible facile et était sur le point d'annoncer son identité quand soudain l’un d’eux poussa un cri de douleur et s’effondra, la main broyée.

Au même instant, la silhouette de Xiao Zhige apparut ; il se plaça devant An Changqing pour le protéger, son regard balayant les lieux d’un éclat glacial : « Qui donc voulait poser la main sur la Wangfei de ce prince ? »

Habituellement impassible, Xiao Zhige était déjà intimidant ; à présent qu’il laissait éclater sa colère, une aura meurtrière l’entourait, ses yeux froids et acérés semblant trancher la chair de ceux qu’ils fixaient.

Le jeune maître Zhao devint livide, ses jambes fléchirent et il s’effondra en balbutiant : « V-v-votre Altesse… c-c-c’est un malentendu… »

Xiao Zhige esquissa un sourire sanguinaire et, de sa botte cloutée, écrasa la main de l’homme en la broyant légèrement : « Et si, par malheur, ce prince te tuait… ce serait aussi un malentendu ? »

Terrorisé, le jeune maître Zhao trembla de tout son corps, incapable même d’articuler une supplique. Les commis et le gérant, pétrifiés, s’effondrèrent à genoux, n’osant même pas implorer grâce.

Dehors, quelqu’un cria soudain : « Le prince va tuer quelqu’un ! »

La foule se dispersa aussitôt, effrayée, bien que certains curieux restèrent à distance, le cou tendu pour observer la scène.

Xiao Zhige ne prêta aucune attention au tumulte. Son visage demeurait impassible tandis que son regard restait fixé sur le jeune maître Zhao, effondré au sol comme une flaque de boue.

Dans la boutique, malgré les rangées d’hommes prosternés, un silence de mort régnait ; on aurait entendu tomber une aiguille.

Zhou Helan, entendant le remue-ménage à l’extérieur et voyant la fureur glacée de Xiao Zhige — tel un dieu de la guerre descendu sur terre — voulut dire quelque chose, mais la peur le fit se taire.

Seul An Changqing n’était pas effrayé. Il regarda autour de lui, aperçut les badauds au loin, puis posa de nouveau les yeux sur Xiao Zhige, dont émanait encore cette aura meurtrière. Il pinça légèrement les lèvres, s’approcha et tira doucement sur sa manche.

Xiao Zhige tourna la tête vers lui, silencieux.

An Changqing ne prononça pas un mot de remontrance ; son regard glissa plutôt sur un grand vase fleuri non loin. Il s’en approcha, le prit dans ses bras, et dit avec le plus grand sérieux : « Laisse-moi faire. »

Xiao Zhige ne répondit pas. Ses sourcils se froncèrent légèrement, mais il finit tout de même par s’écarter.

Le « mantou blanc » n’eut pas le temps de se réjouir qu’il vit soudain un grand vase ventru suspendu au-dessus de sa tête. Avant même qu’il n’éprouve la moindre peur, un craquement clair retentit : le vase de porcelaine éclata en mille morceaux, et le « mantou blanc » qui venait d’échapper à la mort eut la tête ouverte et perdit aussitôt connaissance.

An Changqing s’épousseta les mains, puis, toujours insatisfait, lui donna un coup de pied. Il déclara d’un ton vif et triomphant : « Oser me provoquer ? Je vais t’apprendre à manger sans pouvoir digérer ! » (NT : idiome signifiant payer chèrement les conséquences.)

Xiao Zhige le regarda faire, agité, la mine féroce. La colère étouffée dans sa poitrine se dissipa soudain, remplacée par une émotion étrange, à la fois douce et légèrement amère.

An Changqing lui lança un regard de biais, releva un peu le menton et dit aux domestiques pétrifiés : « Alors ? Vous n’allez pas l’emporter ? Qu’on ne le laisse pas traîner ici à me gâcher la vue. »

Les domestiques, comme s’ils se réveillaient d’un songe, se précipitèrent pour soulever le «mantou blanc» évanoui et s’enfuirent en trébuchant.

Il ne resta plus que le gérant et le commis, le visage livide.

An Changqing tourna lentement autour d’eux, le sourire aux lèvres : « Votre compte à tous les deux, je le règlerai plus tard. » Il se tourna vers An Fu : « Emmène-les d’abord au palais du prince et enferme-les. »

An Fu, gonflé d’orgueil, répondit d’une voix forte : « Bien, Votre Altesse. » Puis, donnant un coup de pied au commis, il gronda : « Debout ! En route ! »

Le gérant et le commis n’osèrent pas protester ; ils se levèrent en tremblant, pareils à des cailles effrayées, et suivirent An Fu comme s’ils fuyaient pour sauver leur vie.

Quand An Fu eut quitté la boutique avec ses prisonniers, il ne resta plus que Zhou Helan, qui jeta un coup d’œil à An Changqing, puis à Xiao Zhige. Prenant une décision rapide, il s’éclipsa à son tour : « Je vais chercher la voiture. »

La boutique ne compta plus que deux personnes : Xiao Zhige et An Changqing.

An Changqing, les yeux mi-clos, lui lança un regard en coin : « Cette boutique, le prince la connaît ? »

Xiao Zhige répondit : « Oui. Elle m’appartient. »

An Changqing eut un petit rire ironique : « Je croyais justement que le prince ne la connaissait pas. » Puis, avec une pointe d’agacement : « Le gérant et les commis de cette boutique sont tous à jeter. Les prix des vêtements sont scandaleusement élevés ! Pas étonnant que l'intendant Wang ait dit que les affaires allaient de mal en pis. À ce train-là, non seulement on ne gagnera rien, mais il faudra encore mettre la main à la poche ! Et ce gérant me paraît bien sournois : qui sait quels sales tours il cache encore derrière tout cela.»

« C’est l'intendant Wang qui s’en occupe. » Xiao Zhige, un peu honteux sous le flot de reproches, trouva aussitôt un bouc émissaire : « Je n’ai pas eu le temps de m’en charger moi-même. »

« Je remettrai d’abord les comptes en ordre, ensuite je m’occuperai d’eux. »

An Changqing était furieux. À ce qu’il voyait, avec un propriétaire aussi négligent, il devait bien y avoir d’autres boutiques en difficulté. Après tout, ces gens savaient fort bien s’adapter au vent : si le maître les surveillait de près, ils travaillaient avec soin ; mais si le maître détournait les yeux, la plupart profitaient de l’occasion pour tricher et s’enrichir.

Le Tian Yi Fang n’avait certainement pas été ainsi au début. C’est parce que, avec le temps, voyant que le maître ne s’en occupait pas, le gérant avait fini par concevoir de mauvaises intentions.

« Tout se fera selon ton avis. » répondit Xiao Zhige.

Ce n’est qu’alors qu’An Changqing se déclara satisfait. Puis il se souvint que l’homme s’était rendu au camp militaire hors de la ville ce matin-là, et demanda, intrigué : « Pourquoi le prince se trouve-t-il ici ? »

« Je buvais avec des collègues. » répondit Xiao Zhige.

À peine le prince eut-il prononcé ces mots que, dehors, les soldats qui observaient discrètement depuis un moment passèrent la tête par la porte.

He Laosan, au visage noir de charbon, afficha un large sourire en forme de trompette : « Prince, nous buvions justement avec Votre Altesse à la taverne d’en face ! Si la Wangfei a du temps, qu’elle vienne boire un verre avec nous ! Laosan l’invite ! »

À ces mots, les autres soldats se dirent que c’en était fini d’eux, et leurs regards se tournèrent aussitôt vers Xiao Zhige.

Comme prévu, le visage du prince, qui venait de s’adoucir, se rembrunit de nouveau. Il répondit d’une voix glaciale : « La Wangfei ne boit pas. »

He Laosan, inconscient du danger, ouvrit encore la bouche : « Si elle ne boit pas, qu’elle vienne au moins dîner ! Nous n’avons encore jamais parlé avec la wangf… »

Avant qu’il n’achève sa phrase, un camarade lui plaqua la main sur la bouche. Les autres soldats le saisirent par les bras, riant nerveusement : « Le repas n’est pas encore payé, nous allons régler l’addition ! Prince, Wangfei, prenez votre temps ! »

Et ils disparurent comme le vent, traînant He Laosan avec eux.

*

De retour à la taverne, He Laosan, contrarié, lança à ses camarades, ses yeux ronds comme des cloches : « Mais enfin, qu’est-ce que vous faites ? Je n’avais pas fini ! »

Ses compagnons levèrent les yeux au ciel : Si on te laissait finir, on ne passerait pas un Nouvel An tranquille. Le prince furieux trouverait bien un prétexte pour nous épuiser jusqu’à la mort.

He Laosan, imperturbable, ajouta encore, les yeux brillants : « Mais la Wangfei est vraiment magnifique ! Pas étonnant que le prince ait préféré renoncer à toutes les autres femmes pour la ramener chez lui, et qu’il la cache jalousement sans nous la montrer… » Il claqua la langue, admiratif : « Ah, si une beauté pareille me tombait dans les bras, moi aussi je pourrais être un homme comblé ! »

Un de ses compagnons répondit d’un ton glacial : « Tais-toi donc un peu ! Tu n’as pas déjà causé assez de problèmes avec ta langue ? As-tu oublié la façon dont la Wangfei a lancé le vase tout à l’heure ? »

Bon sang, ce vase faisait la taille d’un enfant de quatre ou cinq ans ! Elle l’avait fracassé sans même cligner des yeux. Et leur prince, avec son tempérament, qui oserait lui tirer les moustaches du tigre quand il est en colère ? Il n’y avait bien que cette Wangfei, qui paraissait si douce et délicate, pour oser s’en approcher.

Ce qui les stupéfiait le plus, c’est que le prince, lui, ne s’était même pas fâché.

Les officiers se mirent à cliqueter de la langue, songeant : Même le tigre finit par reconnaître son maître.

He Laosan, entendant leurs remarques, sentit un frisson glacé lui courir dans le cou. Il murmura, terrifié : « Nom d’une mère… qu’est-ce que j’ai encore fait ? »

*

Zhou Helan revint avec le cocher. An Changqing monta dans la voiture. Xiao Zhige hésita un instant, puis, au lieu de remonter à cheval, monta lui aussi.

Au loin, les badauds qui avaient observé toute la scène poussèrent un « Oh ! » de surprise, avant de chuchoter entre eux.

« Le prince, quand il se fâche, c’est à vous glacer le sang ! C’était bien le jeune maître de la famille Zhao, non ? Quel malheureux sort… »

« On ne peut pas dire ça non plus. Ce jeune maître Zhao ne l’a-t-il pas cherché ? Même si le prince l’avait tué sur place, cela aurait été parfaitement justifié… »

À ces mots, les autres comprirent aussitôt. Oui, c’était bien le jeune maître Zhao qui l’avait mérité ! Quelle épouse, dans la rue, se laisserait insulter sans que son mari se fâche ? C’était uniquement grâce à la clémence de la Wangfei qu’il avait gardé la vie sauve!

Ils étaient jadis habitués à l’idée que le prince de Beizhan tuait sans sourciller ; désormais la situation avait changé de camp, et il fallut que quelqu’un le leur rappelle pour qu’ils réagissent.

« C’est vrai, ce jeune maître Zhao a commis bien des actes ignobles — il méritait bien ce qui lui est arrivé. Même si le prince l’avait tué, ce serait pour le bien du peuple ! »

« À dire vrai, c’est la Wangfei qui est douée : elle paraît si douce et raffinée, et pourtant quand elle frappe, elle a de la poigne ! »

« Vous avez pu bien la voir ? »

« Non, de si loin, difficile de distinguer, mais la silhouette était parfaite — comme les conteurs l’ont écrit… »

Les habitants jasèrent joyeusement, tandis que la personne dont ils parlaient se trouvait justement à la boutique Jufuzhai pour acheter un canard laqué. Malgré l’incident désagréable du milieu, il fallait bien ramener le canard chez soi.

La voiture s’arrêta devant Jufuzhai. Xiao Zhige descendit pour demander au commis d’emballer un canard rôti. Le commis, habile, découpa la volaille, l’enveloppa de papier huilé et, en regardant la voiture, annonça avec empressement : « Si la Wangfei aime ce canard, qu’on nous le fasse savoir : nous en enverrons un tout juste rôti et bien chaud au domaine. »

Le commis, accoutumé à l’échange froid où tout se règle avec de l’argent, fut troublé par l’attitude peu démonstrative du prince. Xiao Zhige plissa les sourcils, resta silencieux un instant, puis jeta une pièce d’argent et monta dans la voiture en portant le canard rôti.

Le commis, serrant la monnaie, regarda la voiture avec envie : « Revenez donc, Wangfei ! C’est vous qui nous faites vivre. »

« Pourquoi soudain acheter un canard rôti ? » demanda An Changqing en reniflant, regardant le paquet huilé.

« Parce que c’est bon. » Xiao Zhige lui tendit le paquet : « Mange le en rentrant. »

An Changqing, surpris mais séduit par l’odeur alléchante, accepta avec joie : « On le mangera ensemble à notre retour. »

Voyant son plaisir, Xiao Zhige s’adoucit : « Si tu l’aimes, j’en rachèterai une autre fois. »

An Changqing, tenant le canard, croisa le regard du prince ; une illumination lui traversa l’esprit : « C’est spécialement pour moi ? »

Xiao Zhige répondit d’un « hum » un peu gauche.

An Changqing se pencha, lui demanda : « Comme pour les biscuits en forme de fleur de prunier ? »

Le prince fit encore un petit « hum ».

Le visage d’An Changqing s’éclaira ; à voix basse il murmura : « Finalement, tu n’es pas tout à fait un morceau de bois. »

*

Sur la route du retour, de bonne humeur, An Changqing réfléchit à la manière d’épingler les voleurs internes. La journée avait pris une tournure imprévue : il comptait s’occuper de ces affaires après le Nouvel An, mais maintenant que le scandale avait éclaté, les autres boutiques allaient forcément entendre des rumeurs — autant régler tout cela d’un trait.

Il dit à Xiao Zhige : « Profitons de la période précédant le Nouvel An : que l’on convoque tous les intendants des domaines et des boutiques et qu’on les réprimande. Nous réglerons les comptes petit à petit après la nouvelle année. »

« Fais comme tu l’entends. » répondit Xiao Zhige.

Ces dernières années, Xiao Zhige avait surtout été en campagne à Yanzhou ; une fois revenu à Yejing, il ne s’occupait guère des affaires domestiques et laissait la gestion à l’intendant Wang. An Changqing observa encore l’attitude du prince et ajouta : « Les boutiques sont gérées par l’intendant Wang ; il ne peut ignorer la situation du Tian Yi Fang. »

Xiao Zhige hocha la tête. Il le savait bien : l’intendant Wang, bien qu’ayant longtemps servi sa maison, n’était pas un confident intime du prince. Les racines du prince étaient à Yanzhou, dans l’armée ; le domaine de Yejing n’était pour lui qu’un point d’appui. L’intendant, fidèle et habile à gérer, en avait reçu la charge ; Xiao Zhige savait que Wang pouvait se servir — c’était comparable, pensa-t-il, au pillage que font parfois les soldats après une victoire : on ne peut ni tout permettre, ni tout interdire. Ainsi, il fermait les yeux sur certaines choses.

Mais il était clair que Wang avait désormais irrité sa princesse. Xiao Zhige demanda : « Que veux-tu qu’on fasse de lui ? »

« On manque de personnes pour l’instant ; mieux vaut lui donner une leçon et le garder provisoirement en poste. » An Changqing, qui avait récemment lu quelques traités militaires dans le cabinet du prince, connaissait l’effet de l’attaque contre le moral : « On le mettra en demeure. Plus il est anxieux et coupable, plus il travaillera consciencieusement. »

L'intendant Wang n’avait pas un tempérament hardi : d’après les observations d’An Changqing, il prenait de petits avantages quand l’occasion s’en présentait, mais n’aurait pas l’audace de duper ouvertement Xiao Zhige.

Xiao Zhige, surpris, regarda An Changqing : il pensait que celui-ci profiterait de l’occasion pour écarter l’intendant. Après tout, leur relation n’avait jamais été chaleureuse ; mais il ne s’attendait pas à entendre la proposition d’An Changqing.

Un bref éclat traversa son regard ; il approuva : « Nuonuo a raison. »

An Changqing resta silencieux un instant.

*

La voiture arriva au domaine. L’intendant Wang vint avec les servants accueillir, l’air visiblement inquiet — avant l’arrivée d’An Changqing, An Fu avait déjà ramené au domaine le gérant et le commis de Tian Yi Fang, et les avait fait enfermer dans la chambre des interrogatoires ; Zhao Shi les avait pris en charge.

Lorsqu'An Chang Qing a pris la relève, l’intendant Wang savait que tôt ou tard, la situation dans les magasins serait découverte et il avait spécifiquement averti les responsables de faire preuve d'une certaine retenue. Mais malheureusement, l’année n’était même pas terminée et ils étaient déjà rattrapés.

L’intendant Wang se sentit soudain profondément mal à l’aise, pâlit et s’inclina encore plus bas : « Le prince et la princesse prendront-ils part au dîner ? »

An Changqing fit tournoyer le paquet huilé du canard : « Prévoyez quelques plats d’accompagnement pour alléger le goût ; ce soir, on mange du canard rôti. »

Après le repas, An Changqing fit appeler l’intendant Wang et lui ordonna de convoquer les gérants des domaines et des boutiques. Passant beaucoup de temps avec Xiao Zhige, il avait pris l’habitude de l’autorité sans éclat : son visage fin, quand il se durcissait, empruntait à l’allure sévère du prince. Il posa son index sur la table en faisant résonner les frappes avec calme.

« Je suis tombé par hasard sur le Tian Yi Fang, mais d’autres boutiques pourraient tout aussi bien être corrompues. Puisque le prince m’a confié la gestion des biens du domaine, je compte bien m’en occuper et ne pas le décevoir. Intendant Wang, n’est-ce pas là la logique ?»

Le dos de l’intendant Wang se cambra encore davantage et son visage se teinta d’amertume. Les paroles de la Wangfei lui étaient clairement adressées, et même un imbécile pouvait deviner qu’elle cherchait à le provoquer. Depuis que le personnel de Tian Yi Fang avait été arrêté, il ignorait ce qu’ils avaient révélé, mais il savait qu’An Changqing ne laisserait pas cette affaire en suspens.

Comme prévu, les autres gestionnaires furent également convoqués. Il semblait qu’An Changqing était déterminé à aller au bout de cette enquête. Même s’il n’était pas directement impliqué, fermer les yeux aurait été une forme de complicité. L’intendant Wang n’avait pas été corrigé pour ses erreurs, mais chacune des actions d’An Changqing lui faisait ressentir une pression et un malaise croissants.

Avec prudence, l l’intendant Wang répondit : « Les paroles de la Wangfei sont tout à fait exactes. »

Satisfait de cette réponse, An Changqing agita la main : « Alors prenez les dispositions nécessaires. »

Deux jours passèrent en un clin d’œil, et l l’intendant Wang avait prévu que les gérants se réunissent le 20 du mois. Entre-temps, Tie Hu revint avec des nouvelles du couvent.

Ce couvent était pratiquement inconnu. À moins de voyager en dehors de la ville, personne n’en aurait entendu parler. L’enquête de Tie Hu révéla que les pratiques de ce couvent s’étaient considérablement éloignées de leurs racines religieuses. Les habitants de Daye suivaient principalement le taoïsme ; peu de gens brûlaient de l’encens pour des temples bouddhistes, et encore moins pour ce couvent isolé. Avec la baisse du nombre de visiteurs, le lieu avait perdu sa fonction spirituelle pour devenir un repaire de prostitution déguisé.

En raison de son isolement et des conditions difficiles, la plupart des femmes envoyées là-bas étaient des pécheresses ou des veuves sans ressources. Privées de confort matériel et déjà peu vertueuses, elles séduisaient les hommes venus au couvent et obtenaient ainsi de l’« argent d’encens » (NT : idiome : argent reçu en échange d’un service déguisé ou d’une faveur).

La femme mentionnée par le petit mendiant s’appelait Jiao Ying. Elle était l’une des mieux rémunérées du couvent et, selon les rumeurs, avait été réservée depuis longtemps par un noble, ne servant personne d’autre. Par manque de temps, Tie Hu ne put vérifier l’identité exacte de ce noble, mais d’après les propos du mendiant, il s’agissait très probablement de Wu Juan Shu.

Tie Hu fit également deux autres découvertes inattendues.

« La femme nommée Jiao Ying a envoyé sa servante chercher un abortif. J’ai remarqué que son ventre est légèrement arrondi, elle est probablement enceinte. »

An Changqing haussa les sourcils. Lors de sa dernière vie, lorsqu’elle était entrée dans la maison du marquis, aucun enfant n’était mentionné. Si cet enfant appartenait à Wu Juan Shu, elle pourrait légitimement s’installer dans la maison du marquis. Même si le marquis refusait, il faudrait l’indemniser pour l’avortement. Mais pourquoi avait-elle acheté un abortif en secret ?

An Changqing sentit qu’il y avait quelque chose d’anormal, mais il ne pouvait pas encore identifier quoi exactement. Il poursuivit : « Qu’avez-vous découvert d’autre ? »

« J’ai retrouvé la folle. »

Elle avait été repérée lors de la surveillance du couvent. Elle vivait dans un village proche et parlait sans cesse d’une renarde qui aurait tué son fils. Tie Hu, entendant les villageois parler d’elle, décida d’enquêter et fit une découverte supplémentaire.

« Cette femme n’a pas toujours été folle. Son mari, du nom de Qian, est décédé prématurément, lui laissant un fils, Qian Yun. Qian Yun était petit et peu attrayant, mais son talent pour le toilettage des chevaux lui permit de trouver un emploi au manoir Wu. Après quelques années et suffisamment d’économies, il épousa Jiao Ying, une fille du village voisin. 

« Contrairement à Qian Yun, Jiao Ying était belle et charmante. Après leur mariage, elle resta à la maison pour servir sa belle-mère et apportait parfois de la nourriture au manoir Wu. La vie semblait paisible jusqu’au jour où Qian Yun rentra et gifla Jiao Ying. Les villageois soupçonnèrent Jiao Ying d’avoir une liaison, mais avant qu’ils puissent confirmer quoi que ce soit, Qian Yun se noya dans un étang en rentrant chez lui.

« La mort de Qian Yun rendit sa mère folle, la poussant à maudire Jiao Ying et à l’accuser d’adultère. Mais Jiao Ying n’était pas sans ressources : chaque jour, elles se disputaient et se battaient comme des chats et des chiens. Finalement, Jiao Ying s’enfuit, et la folie de la mère s’aggrava, allant jusqu’à insulter Jiao Ying en public à qui voulait l’entendre. »

« Encore la maison du marquis… » An Changqing réfléchit un instant. « Alors l’adultère est très probablement imputable à Wu Juan Shu. Mais pourrait-il avoir tué Qian Yun et caché Jiao Ying dans ce couvent ? »

Tie Hu répondit : « Cela semble plausible, mais j’ai interrogé plusieurs villageois. Ils ont dit avoir vu Jiao Ying monter dans une calèche et devenir intime avec un homme d’une trentaine d’années. Son âge ne correspond pas tout à fait à celui de Wu Juan Shu… »

Cette nouvelle lui plut. An Changqing murmura, pensif : « Peut-être que Jiao Ying a plus d’un « patron ». L’enfant dans son ventre ne serait peut-être pas celui de Wu Juan Shu. Est-ce la raison pour laquelle elle veutavorter ? »

Tie Hu arriva à une conclusion similaire. Mais, en tant que soldat habitué aux batailles, ce type d’affaires compliquées et de manipulation le déconcertait.

Après avoir réfléchi à une stratégie, An Changqing ordonna : « Continuez à surveiller le couvent. Et trouvez un moyen d’échanger l’abortif de Jiao Ying. »

Tie Hu prit un moment, puis répondit : « Je peux essayer. »

« Alors faites-le, » insista An Changqing. « Transformez-le en remède pour la maternité. Et une autre chose… trouvez un moyen de divulguer cette nouvelle à Wu Juan Shu. »

Tie Hu le regarda, surpris. Il comprit que Wangfei pouvait se montrer impitoyable lorsque la situation l’exigeait. Si le bébé dans le ventre de Jiao Ying n’était pas celui de Wu Juan Shu, un scandale éclaterait au grand jour.

Après avoir reçu ces instructions, Tie Hu partit.

An Changqing fit alors venir Zhou Helan et se rendit aux cellules pour interroger le gérant et l’employé du magasin.

Lorsque ceux-ci furent ramenés au manoir, An Changqing n’avait pas fait usage de la force. Il les enferma simplement dans des cellules séparées. Peu importait leurs supplications ou leurs aveux, il refusa de leur accorder la moindre audience. Et aujourd’hui marquait déjà le troisième jour.

Il était temps de les juger.

Zhao Shi les conduisit à la salle d’interrogatoire. Bien que les rumeurs présentaient le manoir Wang comme un purgatoire, la réalité était que depuis la construction de cette salle, elle avait rarement été utilisée. Néanmoins, elle était équipée d’instruments de torture répondant aux normes militaires, destinés à interroger les espions.

À la vue des horribles appareils, le gérant et l’employé du magasin devinrent immédiatement faibles, paralysés par la peur.

Zhao Shi apporta une chaise pour qu’An Changqing puisse s’asseoir, puis commença par traîner l’employé devant lui.

L’employé, terrifié au-delà de toute mesure, tomba à genoux dès qu’il aperçut An Changqing et se cogna la tête contre le sol, implorant grâce.

Zhou Helan prit en charge l’interrogatoire. Après quelques questions, il parvint à se faire une idée claire de ce qui se passait à Tian Yi Fang.

Il apparaissait que le directeur de Tian Yi Fang avait été de connivence avec le magasin de vêtements de la famille Zhao. À l’origine, Tian Yi Fang jouissait d’une excellente réputation et était très populaire à Yejing. Pour s’emparer de leur clientèle, la famille Zhao avait d’abord débauché les tailleurs de la boutique, puis soudoyé le gérant pour gonfler les prix. En conséquence, de nombreux clients avaient finalement préféré acheter chez la famille Zhao, où les articles étaient moins chers.

Fort de l’argent que lui versait la famille Zhao, le gérant devint de plus en plus audacieux. Non seulement il augmenta exagérément le prix des articles, mais il revendait aussi les vêtements de Tian Yi Fang légèrement au-dessus du coût, empochant même les bénéfices. Et lorsqu’il devait rendre compte, il prétendait que les vêtements ne se vendaient pas et qu’il était contraint de les brader.

An Changqing, à la fois furieux et presque amusé, demanda : « Depuis quand cela a-t-il commencé ? »

Les lèvres de l’employé tremblaient lorsqu’il répondit : « Il y a environ deux ou trois ans. »

Le visage d’An Changqing passa par plusieurs expressions avant qu’il ne se calme finalement. Après l’interrogatoire, Zhou Helan fit signer ses aveux à l’employé, puis convoqua le gérant du magasin.

En voyant l’empreinte de son doigt sur le document, le gérant pâlit. Les mensonges qu’il avait racontés plus tôt n’avaient plus aucune valeur ; il ne pouvait désormais que tout avouer. Mot à mot, il détailla chaque réunion et transaction qu’il avait eue avec la famille Zhao.

Une fois ces aveux recueillis, An Changqing demanda des informations sur les autres magasins. Les gérants avaient pour habitude de se tenir au courant mutuellement, partageant informations et marchandises manquantes. Le directeur n’eut d’autre choix que de consigner tout ce qu’il savait.

Malgré le froid hivernal, le visage du gérant était couvert de sueur lorsqu’il termina sa déclaration. Juste au moment où il croyait pouvoir respirer, An Changqing déclara : « Après cela, envoyez-le au tribunal judiciaire. »

Le visage du directeur devint aussi pâle que de la cendre : il comprit que son avenir était désormais scellé.

An Changqing parcourut les comptes que le responsable lui avait personnellement remis, chaque ligne détaillant les pertes de Tian Yi Fang. Et tout cet argent coulait directement dans les poches de la famille Zhao.

Il pensa au jeune maître à la tête de mantou qu’il avait laissé indemne plus tôt, et un sourire froid se dessina sur ses lèvres. Tapotant le registre sur la table, il dit à Zhou Helan : « Prends Tie Hu, nous allons récupérer cet argent chez la famille Zhao. »

Une somme pareille ne pouvait pas être laissée sans réclamation.

Zhou Helan, voyant son air irrité, réfléchit un instant et suggéra : « Pourquoi ne pas demander au Prince de nous accompagner ? Ce serait plus rapide et efficace, et peut-être pourrions-nous récupérer encore plus d’argent. Considérons cela comme un bénéfice supplémentaire. »

An Changqing approuva d’un signe de tête, appréciant son idée, et se mit aussitôt en route avec le registre à la recherche de Xiao Zhige.

Les exercices militaires à la garnison extérieure étant suspendus ces jours-ci, Xiao Zhige se trouvait au manoir. Voyant An Changqing arriver avec une pile de papiers, il demanda en devinant : « Tout est vérifié ? »

« Oui. Les responsables ont déjà été envoyés aux autorités. Mais la somme d’argent est importante, je compte aller la récupérer chez la famille Zhao. Prince, veux-tu venir avec moi ? » An Changqing le regarda intensément.

Face à ce regard plein d’attente, Xiao Zhige ne tarda pas à accepter. An Changqing, ravi, dit : « Je vais faire préparer la voiture. »

Ainsi, cet après-midi-là, les habitants de Yèjing virent la porte du manoir du Prince de Beizhan grande ouverte, et un somptueux carrosse sortir lentement. Le grand caractère « 萧 » (Xiao) sur le côté était impossible à manquer.

Le carrosse ne s’arrêta que devant le magasin de confection de la famille Zhao. Le gérant, confus et nerveux, sortit pour accueillir les visiteurs.

An Changqing et Xiao Zhige descendirent, suivis par deux rangs de gardes imposants. Le gérant les fit entrer avec une révérence tremblante.

Une fois assis, An Changqing but une gorgée de thé et, sous le regard interrogatif du gérant, déclara : « Nous sommes ici, le Prince et moi, pour recouvrer les dettes précédemment impayées. »

« Des dettes ? » Le gérant, perplexe, confirma prudemment : « Le magasin de la famille Zhao n’aurait pas de dettes envers le manoir, si ? »

An Changqing fit signe à An Fu de présenter les aveux signés par le responsable de Tian Yi Fang ainsi que le registre au gérant. Impassible, il continua de siroter son thé.

Le responsable, en examinant les documents, se décomposa soudain. En regardant les deux imposants gros bonnets immobiles et les papiers entre ses mains, le gérant pâlit et dit : « Prince et Wangfei, veuillez patienter. Je vais chercher le maître du magasin immédiatement. »

La réputation du Seigneur de Guerre du Nord s’avéra efficace. Le propriétaire du magasin de la famille Zhao arriva, accompagné de plusieurs caisses d’argent.

Le maître de la famille Zhao, semblable à une pâte à pain trop levée, encore plus corpulent que le jeune maître Zhao, avança avec prudence en se courbant pour saluer, en souriant et disant : « Voici l’argent, Prince et Wangfei, veuillez vérifier. »

Les serviteurs ouvrirent les caisses, révélant des pièces d’argent éclatantes. An Fu compta et trouva le double de la somme attendue, plus de quarante mille taels d’argent.

An Changqing, contemplant l’argent brillant, fut satisfait. Avec un sourire aimable, il dit : « Exactement, c’est bien le montant. »

Le maître de la famille Zhao, voyant qu’il acceptait tout sans broncher, était littéralement blessé au cœur. Mais comme ils étaient en tort et que le Prince de Beizhan, cette divinité de la guerre, veillait, il n’osa prononcer un mot et ne put que rire nerveusement : « C’est bien, c’est bien… »

An Changqing, heureux d’avoir récupéré le double de la somme, ne chercha pas à en faire trop. Il fit charger l’argent dans le carrosse par les gardes et repartit majestueusement.

Le maître de la famille Zhao, soulagé comme après une catastrophe, poussa enfin un soupir. Mais sa joie fut de courte durée : le lendemain, il apprit que la Wangfei distribuait de la soupe aux pauvres devant Tian Yi Fang.

La Wangfei, vêtue d’un manteau en coton confectionné par Tian Yi Fang, se tenait gracieusement à l’entrée. Même dans un simple habit de coton, cette personne semblait plus noble que les autres, pourtant vêtus de riches brocarts colorés.

Les habitants de Yèjing virent enfin la vraie apparence de la Wangfei et furent pris d’une excitation immense. Même pour autre chose que la soupe, acheter un manteau identique pour absorber un peu de son aura divine semblait en valoir la peine !

Les curieux affluèrent tous vers Tian Yi Fang.

De loin, le maître de la famille Zhao, voyant la foule devant le magasin, crut presque que son cœur allait lâcher.

*

Ces derniers jours, au manoir Wang, la tension était palpable. Les serviteurs restaient sur le qui-vive, personne n’osait s’approcher du bureau du prince.

Chaque jour, le prince s’entraînait au maniement de la lance pendant une demi-journée. Ces derniers jours, son expression semblait littéralement meurtrière, si bien que tous les serviteurs contournaient le manoir.

Ce jour-là, An Changqing se leva tôt et enfila une nouvelle tenue de Tian Yi Fang pour sortir. Après avoir récupéré l’argent chez les Zhao, il ne se contentait pas de cela : « l’argent est immobile, mais le magasin est vivant ». Un Tian Yi Fang prospère pouvait générer bien plus que quarante mille taels.

Après discussion avec Zhou Helan, il conçut un moyen de redresser la réputation déclinante de Tian Yi Fang : distribuer de la soupe lui-même devant le magasin.

La renommée de Tian Yi Fang avait souffert ces deux dernières années ; le redressement ne se ferait pas en un jour. Mais Zhou Helan, se souvenant des petits récits populaires sur le Prince et la Wangfei, eut l’idée originale : qu’An Changqing se tienne devant le magasin en tenue Tian Yi Fang et distribue de la soupe.

Cela améliorerait leur réputation et attirerait plus de clients. An Changqing ne pouvait refuser une telle opportunité.

Le résultat dépassa leurs attentes : non seulement les affaires de Tian Yi Fang reprirent, mais la réputation du manoir Wang s’améliora également.

Le seul problème : les récits populaires se multipliaient, et les conteurs gagnaient de plus en plus d’audience.

Avec Wangfei toujours occupée, quittant tôt le matin et revenant tard le soir, le visage du Prince devenait de plus en plus sombre.

Un matin, Zhou Helan vint chercher An Changqing dans la cour principale et se retrouva face à une lance en ébène. Sous le choc, il recula de deux pas et, voyant le prince, s’inclina rapidement : « Prince. »

Xiao Zhige ne dit rien, le fixa un moment, puis récupéra la lance et partit.

Zhou Helan, les cheveux dressés sous ce regard, resta perplexe : qu’avait-il fait pour mériter cette colère soudaine ?

Pourquoi le prince avait-il l'air si menaçant ?!

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

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