TTBE - Chapitre 23 - Je t’achèterai des bonbons aux pignons
Voyant Xiao Zhige se diriger vers la chambre principale en tenant sa lance, Zhou Helan hésita un instant, puis se mit à le suivre.
Bien qu’il ne comprenne pas sur le moment en quoi il avait pu déplaire au prince, il avait, depuis son entrée dans la résidence, compris que le Seigneur de Guerre du Nord n’était pas aussi cruel et déraisonnable que les rumeurs le prétendaient. Et puisqu’il faisait désormais partie des gens du Wangfei, avec l’importance que le prince attachait à son époux, il ne passerait certainement pas outre ce dernier pour le punir.
Rassuré par cette pensée, Zhou Helan accéléra le pas et arriva juste derrière Xiao Zhige devant la chambre principale.
An Changqing venait tout juste de se changer. Ce jour-là, il portait une robe de brocart d’un blanc lunaire, à motifs discrets. C’était encore un vêtement envoyé par Tian Yi Fang : bien que le tissu ne soit pas particulièrement précieux, la coupe et le travail étaient exécutés avec grand soin. En hiver, les robes de brocart rembourrées de coton avaient tendance à paraître épaisses ; mais celle-ci, resserrée à la taille avec une ceinture d’un ton légèrement plus foncé que le blanc lunaire, conservait une allure élégante et vive malgré la saison. Déjà raffinée dans sa conception, une fois portée par An Changqing, la robe mettait d’autant mieux sa silhouette en valeur : chacun de ses gestes respirait une grâce délicate.
Xiao Zhige le regarda de façon insistante en silence. Son regard glissa ensuite sur Zhou Helan, qui attendait les mains pendantes, et il demanda d’un ton neutre, sans variation :
« Allez-vous encore encore distribuer du porridge aujourd’hui ? »
An Changqing ajusta le pendentif de jade à sa ceinture et répondit avec un sourire : «Non. J’ai fait afficher hier une liste pour recruter des talents afin d’engager un nouveau gérant. Beaucoup de personnes se sont inscrites ; aujourd’hui, je vais à la boutique pour en sélectionner quelques-unes.»
L’ancien gérant et les employés, après avoir reconnu leurs fautes, avaient été envoyés au tribunal avec leurs aveux. Tian Yi Fang se retrouvait désormais sans personnel. Pour l’instant, An Changqing et Zhou Helan géraient temporairement la boutique, mais il était impossible de continuer ainsi. Ils avaient donc profité de l’occasion pour recruter.
À ces mots, Xiao Zhige demeura silencieux un moment puis dit : « Je t’accompagnerai. »
« Hein ? » An Changqing le regarda, surpris, avant de froncer légèrement les sourcils. En vérité, il ne tenait pas vraiment à l’emmener : il suffisait d’imaginer Xiao Zhige, le visage fermé, assis à ses côtés pendant qu’il recrutait ; les candidats risquaient fort d’être terrifiés et de s’enfuir.
Mais certaines choses ne pouvaient être dites trop directement. An Changqing fit rouler ses yeux et répondit : « Le prince n’a-t-il rien à faire aujourd’hui ? Les affaires de la boutique risquent de prendre un certain temps. »
L’implicite était clair : ce sera long, Votre Altesse ferait mieux de s’occuper d’autre chose.
Mais Xiao Zhige acquiesça d’un mouvement de tête, immobile : « Je n’ai rien à faire. Allons-y. »
An Changqing se retrouva sans voix : « … »
Voyant qu’il restait campé là comme un gardien de porte (NT : menshen, divinité gardienne dont la statue est placée aux portes, symbole de rigidité et d’immobilité), An Changqing demeura muet un moment, puis dut se résoudre à l’emmener, lui et Zhou Helan, à Tian Yi Fang.
Devant la boutique, de nombreuses personnes attendaient déjà. Il y en avait encore plus que prévu. An Changqing demanda à An Fu d’ouvrir la porte pour laisser les candidats entrer, puis il pénétra à son tour dans la boutique, accompagné de Xiao Zhige et Zhou Helan.
Ceux qui, à l’intérieur, se frottaient les mains en parlant à voix basse, levèrent aussitôt un sourire en voyant An Changqing entrer le premier. Ils s’apprêtaient à profiter de l’occasion pour s’adresser au Wangfei, mais, apercevant Xiao Zhige qui le suivait d’un demi-pas, les sourires se figèrent sur leurs lèvres et tous se turent brusquement.
Ils ressemblaient à un troupeau de cailles apercevant un prédateur : têtes enfoncées, mains à leurs côtés, ils n’osaient même plus respirer trop fort.
La commissure des lèvres d’An Changqing tressaillit : voilà précisément pourquoi il n’avait pas voulu emmener Xiao Zhige. Mais à présent qu’il était déjà assis, il n’y avait plus rien à dire. An Changqing fit comme si de rien n’était et demanda à An Fu de recueillir d’abord les curriculum vitae.
Il y avait quinze candidats pour le poste de gérant ; An Changqing les examina un par un, mais seuls cinq répondaient aux exigences. Comme Tian Yi Fang avait déjà connu un incident, il se montrait désormais bien plus exigeant. Finalement, les cinq personnes restantes furent retenues pour passer une évaluation par Zhou Helan, afin que l’on choisisse le candidat le plus approprié.
Les cinq retenus étaient d’abord ravis, mais dès le début de l’évaluation, sous les regards glacials que le prince leur lançait de temps à autre depuis les sièges d’honneur, ils se mirent à transpirer, leurs mains tremblaient en tenant leur pinceau.
Lorsque l’épreuve se termina enfin, ils exhalèrent ensemble un profond soupir de soulagement. Échangeant des regards, ils avaient tous une expression résignée et accablée.
Ils se disaient en silence : Ces derniers jours, le prince n’était jamais venu… Pourquoi fallait-il que ce soit aujourd’hui ? Impossible d’adresser plus de deux mots au prince consort, quelle malchance…
Le Seigneur de guerre du Nord, assis en hauteur, ignorait complètement qu’on le redoutait autant. Il ne se mêlait pas des affaires de la boutique ; il n’avait rien à ajouter à présent, et se contentait d’écouter An Changqing et Zhou Helan discuter pour déterminer le meilleur candidat.
Chacun avait son favori. Zhou Helan, rigoureux lorsqu’il s’agissait de travail, n’hésitait jamais à dire franchement ce qu’il pensait, et s’efforçait ici encore de convaincre An Changqing. Celui-ci demeurait ferme dans ses choix. Leurs échanges allaient et venaient, rendant la silhouette silencieuse du prince, assis à côté d’eux, presque semblable à un accessoire superflu.
À plusieurs reprises, le regard froid de Xiao Zhige balaya Zhou Helan, et il pinça imperceptiblement les lèvres.
La décision finale fut un compromis : chacun de leurs deux candidats serait retenu. Ils seraient nommés cogérants et dirigeraient ensemble Tian Yi Fang. Plus tard, selon les résultats obtenus, celui qui se montrerait le plus compétent serait promu gérant principal.
Sur le chemin du retour, An Changqing était de très bonne humeur. La discussion qu’il avait eue plus tôt avec Zhou Helan l’avait inspiré : non seulement les deux gérants pourraient se surveiller mutuellement, mais il serait même possible de transférer, après les avoir formés, certains gérants vers d’autres boutiques. Ainsi, tous les deux ans, on pourrait déplacer et promouvoir une nouvelle équipe, ce qui valait bien mieux que de laisser certains gérants conserver longtemps un pouvoir trop étendu, au risque de voir croître leur ambition.
Voyant An Changqing réfléchir encore aux affaires de la boutique même assis dans la voiture, Xiao Zhige fronça les sourcils si profondément qu’une marque nette se forma entre ses sourcils noirs : « Il y a une confiserie un peu plus loin qui vend des bonbons aux pignons caramélisés. »
« Hm ? » An Changqing interrompit le fil de ses pensées et leva les yeux vers lui, intrigué.
Xiao Zhige poursuivit : « On raconte que c’est très bon. Je vais t’en acheter. »
« Qui te l’a dit ? » demanda An Changqing, curieux. Depuis longtemps déjà, il trouvait étrange que Xiao Zhige, qui n’était pas un homme porté sur la gourmandise, parvienne pourtant toujours à lui rapporter toutes sortes de friandises excellentes.
« Mes subordonnés. »
Le Seigneur de guerre du Nord, avare de mots, vit enfin son regard clair et limpide se poser uniquement sur lui ; les plis entre ses sourcils s’adoucirent visiblement : « Tu en veux ? »
« Oui. » An Changqing lui sourit, les yeux plissés : « Le prince en mangera-t-il avec moi ? »
Très droit, les mains posées sur ses genoux, toujours imposant et solennel, Xiao Zhige répondit pourtant sans la moindre hésitation aux paroles de son Wangfei : « Oui. »
*
Comme ils devaient acheter des bonbons aux pignons caramélisés, le cocher emprunta une autre rue. En passant par une petite ruelle, ils entendirent des voix étouffées qui se disputaient.
« L’enfant dans le ventre de Jiao Ying, c’est le tien ou pas ? »
« Et s’il est de moi, qu’y a-t-il ? »
« Tu oses ? C’est ma femme! »
Les deux hommes, absorbés par leur querelle, n’avaient pas remarqué la voiture qui s’approchait par l’autre voie. Bien qu’ils abaissent la voix, An Changqing avait saisi l’occurrence du nom « Jiao Ying ». Il se redressa, souleva le rideau, ordonna au cocher d’arrêter la voiture, puis fit un signe à An Fu pour qu’il aille examiner discrètement l’autre côté.
Les deux hommes continuaient de se disputer. Le quadragénaire demeura inébranlable :
« Si tu ne l’avais pas cachée au monastère de nonnes, je l’aurais déjà fait entrer chez moi. »
« Maintenant qu’elle porte mon enfant, il suffit de choisir une date faste pour la faire venir sous mon toit. Peut-être qu’elle me donnera même un gros garçon. »
Le plus jeune haletait de colère ; après un moment, il parvint à dire : « Sixième oncle, ne me pousse pas à bout ! »
L’homme appelé “Sixième oncle” ricana froidement : « Vouloir me disputer une femme ? Tu es encore trop tendre. Et tu ne le sais pas encore, n’est-ce pas ? J’ai déjà joué avec cette petite catin avant même que son mari ne meure. Toi seul la considères encore comme un trésor… »
Après cette altercation, ils se séparèrent sans se saluer. Le jeune homme, pris d’une rage soudaine, donna un violent coup de pied contre un mur avant de partir.
Ayant tout observé, An Fu revint prudemment, l’air étrangement gêné : « C’était le quatrième jeune maître de la résidence du Marquis Wu et le sixième maître… »
Le Marquis Wu avait cinq frères, mais un seul frère cadet partageant la même mère que lui : le sixième, que l’on appelait couramment le “sixième maître”.
Quant au quatrième jeune maître, il s’agissait du fils illégitime né de la concubine du Marquis : Wu Junshu.
An Changqing repensa à ce qu’ils avaient dit au sujet de Jiao Ying. Il était clair que Wu Junshu savait désormais qu’elle était enceinte — et qu’en plus l’enfant n’était même pas de lui, mais de son sixième oncle.
Oncle et neveu, cachés dans un endroit reculé comme celui-ci, se disputaient une veuve.
Songeant à l’apparence droite et vertueuse que Wu Junshu affichait habituellement, une flamme de colère s’alluma dans les yeux d’An Changqing. Cet homme, pour une veuve qui entretenait une liaison avec son propre oncle, avait causé la mort de sa sœur — mère et enfant — et avait finalement élevé cette femme au rang d’épouse principale.
C’était tout simplement d’une absurdité sans nom !
Oncle et neveu se disputant une femme : voilà donc la “rigueur morale” tant vantée de la résidence du Marquis Wu ?
Le feu de la colère brûlait dans sa poitrine. Les dents serrées, An Changqing prononça :
« Trouve une occasion de rendre cette affaire publique. »
Il voulait voir si, une fois l’affaire révélée, Wu Junshu aurait encore l’audace de venir demander la main de sa sœur !
*
Peut-être même le Ciel ne supportait-il plus les turpitudes de la résidence du marquis Wu, car An Changqing n’avait pas encore eu le temps d’agir que Tie Hu arriva à toute allure pour annoncer qu’un incendie avait été allumé au monastère de nonnes à l’extérieur de la ville.
Et le feu avait été mis par cette femme folle.
« Et Jiao Ying ? »
« Elle se trouvait dehors à ce moment-là. Elle a échappé de peu aux flammes. »
C'est ce que l'on pourrait considérer comme « se voir remettre un oreiller quand on a sommeil ». (NT : : idiome indiquant qu’un coup du sort arrive exactement au moment opportun). An Changqing réfléchit un instant, puis dit : « Envoyez prévenir la résidence du Marquis Wu, et en même temps informez le tribunal. Il faut qu’ils viennent en personne. »
Tie Hu partit exécuter ses ordres. An Changqing demanda ensuite à An Fu de préparer la voiture et se rendit lui-même au monastère.
Lorsqu’il arriva, le feu venait tout juste d’être maîtrisé. Le monastère, à l'origine simple, n’était plus qu’un amas de ruines calcinées. Au milieu des décombres, une femme folle courait en agitant les bras, criant : « La démone est morte ! La démone est morte ! Mon fils, ta mère t’a vengé… »
Quelques villageois observaient la scène à distance, sans oser s’approcher.
Le cocher trouva un endroit discret où arrêter la voiture. À travers le rideau, An Changqing aperçut Jiao Ying recroquevillée dans un coin, les mains sur le ventre, comme terrorisée à l’idée que la femme folle la remarque.
An Changqing la considéra froidement, calculant silencieusement quand les deux autres arriveraient.
Il y pensait encore lorsqu’il vit une voiture débouler à toute vitesse. Avant même qu’elle ne s’arrête, un homme d’une trentaine d’années en descendit précipitamment, appelant anxieusement : « Jiao Ying ! »
Il était si alarmée qu’il ne prêta aucune attention aux murmures des villageois.
La recroquevillée Jiao Ying fondit aussitôt en larmes en l’apercevant. Tremblante, elle se redressa et l’appela : « Sixième maître… »
Wu Liu se précipita vers elle, l’aidant avec mille précautions, l’examinant de haut en bas :
« L’enfant va bien ? Tu ne t’es pas blessée ? »
Jiao Ying tenait son ventre, timide et effarée : « Non… J’ai bien protégé notre enfant… »
À peine eut-elle terminé qu’une autre voix, hésitante, retentit : « … Jiao Ying ? »
Le corps de Jiao Ying se figea. Par réflexe, elle repoussa Wu Liu, puis se tourna vers celui qui venait de l’appeler. Son visage passa par plusieurs émotions avant de se figer en une expression tordue, étrange et profondément laide :
« Qu… Quatrième maître, pourquoi êtes-vous là… »
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L’auteur a quelque chose à dire :
Aujourd’hui, le bibelot-qui-prend-de-la-place qu’est Songsong (NT : quelqu’un qui est présent mais n’apporte pas grand-chose d’utile)
Songsong : « Je n’ai même pas réussi à acheter les bonbons aux pignons » (fait la moue).
Traducteur: Darkia1030
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