Une paire de mains douces l’attrapa, le déposant au sol d’un mouvement fluide et sans douleur. Des exclamations s’élevèrent de la foule, et Xie Yi vit le garde sursauter. Tous les cultivateurs s’inclinèrent rapidement. Tout le monde était devenu étrangement silencieux, mais la personne qui avait rattrapé Xie Yi, tout en le stabilisant, recula lentement.

« Grand Maître, » murmurèrent-ils en chœur, leurs yeux exprimant leur vénération pour le cultivateur qui avait sauvé Xie Yi. Certains montraient de la peur ou de la fascination, ce qui n’était pas surprenant compte tenu de son niveau.

Stupéfait, le garçon en profita pour s’accrocher aux vêtements de l’homme. Aucun cultivateur ordinaire ne pouvait simplement refuser quoi que ce soit à un Grand Maître, donc celui qui l’avait rattrapé était sa meilleure chance. Les Grands Maîtres étaient des personnes particulières, pas toujours faciles à comprendre, mais si c’était le Grand Maître lui-même qui procédait à l’examen, il n’avait aucun doute sur le fait que le résultat serait différent.

« Je… », balbutia-t-il, encore sous le choc d’avoir été projeté en l’air. « Je veux un vrai test ! »

Sa voix était un peu tremblante, ce qui le faisait paraître encore plus enfantin que d’habitude. La robe qu’il serrait dans sa main était en soie douce, incroyablement chère, et commençait déjà à se tacher légèrement rien qu’à son contact. Il n’était pas sale, mais pas non plus exceptionnellement propre, et le tissu était délicat. Réalisant que cela venait peut-être de donner une raison au Grand Maître d’être en colère, Xie Yi tressaillit.

Il leva la tête, puis se figea.

Des yeux violets, une couleur qu’il n’oublierait jamais, si sereins qu’on avait du mal à croire qu’ils appartenaient à un humain. Des traits ciselés, incroyablement beaux mais toujours finement dessinés, encadrés par des cheveux argentés et blancs, partiellement relevés par une couronne.

Xie Yi resta bouche bée, ses yeux rouges brillant.

Je t’ai trouvé. Je t’ai trouvé.

Les yeux de Shi Yue s’élargirent légèrement en regardant l’enfant agrippé à sa robe, puis il cligna des yeux, et enfin, Xie Yi comprit.

Pourquoi les gens l’avaient regardé bizarrement au début. Pourquoi Feng Yan avait sursauté à l’époque. Pourquoi le cultivateur l’avait repoussé si facilement et pourquoi le garde avait dit qu’on ne prendrait pas quelqu’un comme lui.

Des yeux cramoisis, comme du sang. Comme ceux d’une bête démoniaque. Même s’il savait que ce n’était qu’une mutation génétique, comme les yeux violets, les gens étaient superstitieux. Il les avait entendus en parler dans sa vie précédente — que ses yeux étaient de la couleur du sang parce qu’il était un monstre violent. Il ne s’en était pas soucié, alors ce détail lui était sorti de l’esprit, mais même dans cette vie, les gens auraient probablement les mêmes réactions, même envers un petit enfant.

Paniqué, Xie Yi baissa la tête et rabattit sa frange noire sur ses yeux.

« J’ai un noyau moyen, » dit-il rapidement, « mais je travaillerai plus dur que n’importe qui d’autre ! Je ne te ferai pas honte ! Je… Ne me rejette pas juste à cause de mes yeux ! Je les arracherai si c’est mieux ! »

Oui, comme mon cœur. Ça ne pourrait pas être plus douloureux que ça, pensa-t-il en tendant précipitamment la main vers son visage. Même s’il ne pouvait plus voir Shi Yue, ce n’était qu’une petite punition pour ce qu’il avait fait. Si ses yeux étaient la seule chose qui l’empêchait de changer de vie, alors c’était un petit prix qu’il était tout à fait prêt à payer. Il était certain que même s’il devenait aveugle, il pourrait atteindre le sommet.

Une paire de mains blanches, bien plus grandes, enveloppa les siennes, l’arrêtant. Xie Yi les regarda, fasciné. Des doigts longs et élancés, à la peau légèrement rugueuse, portant les callosités familières de quelqu’un qui maniait l’épée. Il y en avait plus que celles qu’il avait eues dans sa vie précédente, probablement parce que certaines venaient d’autres types de travaux.

La voix de Shi Yue, comme une mélodie portée par le vent, calme et autoritaire, résonna dans ses oreilles. Entendre un ton si doux, lui étant destiné pour une fois, lui donna une sensation à la fois de démangeaison et de chaleur .

« Des yeux de la couleur du coucher de soleil, pourquoi les arracherais-tu ? Ne sois pas stupide, » dit-il en observant les yeux rouges parsemés de reflets orangés. « Puis-je vérifier ton noyau ? »

Xie Yi ne pouvait hocher la tête plus vite. Comme on pouvait s’y attendre de la part de Shi Yue, même envers un petit enfant, il ne sauterait pas l’étape de demander la permission. À sa question attentive, la foule commença à murmurer.

Les fils d’énergie spirituelle qui traversèrent son corps étaient bien plus lents et froids que les précédents, s’insinuant lentement dans chaque parcelle de son être. C’était glacial au point d’être douloureux, comme s’ils allaient engourdir tout sur leur passage avant de se frayer un chemin en avant. Shi Yue observait Xie Yi de près, les yeux fixés sur le petit corps de l’enfant. Xie Yi frissonna de plaisir à ce contact, ne voulant rien d’autre que garder cette sensation.

Son noyau réagit par habitude, agrippant des morceaux de l’énergie spirituelle et les retenant en place. Bien que ce soit une bonne réaction face à un intrus — car cela protégerait le noyau —, c’était certainement très impoli lorsque l’autre partie était pacifique. Confus, Xie Yi relâcha les fils.

Les fils étrangers s’arrêtèrent un instant, puis se retirèrent de son corps. Là où ils étaient passés, son corps s’éveilla avec des picotements, comme un membre endormi qui se réveille.

Shi Yue cliqua de la langue, pensif, et se redressa, lâchant les mains de Xie Yi. Ses longues manches recouvrirent à nouveau ses mains, au grand dam de Xie Yi, qui aurait voulu continuer à fixer chacun de leurs mouvements.

« Maintenant, lequel d’entre vous a dit qu’il ne pouvait pas devenir cultivateur ? » demanda soudain Shi Yue au groupe de jeunes nerveux, laissant son regard errer sur eux. L’un d’eux sursauta, puis baissa la tête, mal à l’aise, et fit un pas en avant.

« C-c’était moi, Maître Li… »

« Pour quelles raisons ? »

Le jeune homme prit une inspiration tremblante, se redressa et expliqua. À chaque mot, il semblait plus confiant, ses sourcils se fronçant de plus en plus. Il était évident qu’il ne pensait pas avoir eu tort dans sa décision. « Le garçon est trop petit pour son âge et son corps est faible, ce qui rendra plus difficile pour lui de suivre les autres. Son noyau est moyen mais semble légèrement endommagé aux extrémités. Il est peu probable qu’il puisse aller au-delà des deux premiers niveaux. Je ne pense pas que ça ait du sens de l’emmener alors que nous pourrions utiliser les ressources pour les autres enfants. »

Le cultivateur n’était pas si âgé, à peine plus qu’un adolescent en apparence, mais il semblait se considérer comme supérieur aux autres de son âge en raison de son statut de cultivateur. Ce n’était pas une attitude agréable, mais assez courante.

Shi Yue hocha la tête, ce qui glaça Xie Yi. Le garçon eut l’impression qu’il ne pouvait plus respirer. N’importe qui, n’importe qui pouvait dire ce qu’il voulait de lui, mais pas…

« “Peu probable” est en effet correct. Mais je dirais qu’un garçon d’environ dix ans, capable d’accepter mon énergie spirituelle sans la moindre trace de rejet et même de l’accueillir, a certainement assez de volonté pour se forcer à dépasser toutes les limites. » Il regarda Xie Yi et écarta sa frange, révélant les yeux rouges et les examinant. « Donc, nous allons l’emmener et lui trouver un professeur adapté. »

« Non ! » s’écria Xie Yi avant de pouvoir se retenir. Il entendit Feng Yan gémir dans la foule soudainement très silencieuse.

« Non ? » demanda Shi Yue, un sourcil légèrement levé, les yeux un peu écarquillés de surprise.

Xie Yi retint l’envie de serrer la robe blanche, de peur de la salir davantage. Blanche et bleue et dorée, c’étaient toujours les couleurs préférées de Shi Yue, quand il ne portait pas le violet de la secte. Chaque tache était visible sur elles.

« Je veux être ton disciple, » geignit Xie Yi, incapable d’empêcher sa voix de prendre un ton suppliant, et le regretta instantanément. Trop ?

À sa surprise, Shi Yue fut incroyablement patient. « Très bien. Si tu peux répondre à mes attentes, tu pourras apprendre sous ma direction. Si tu n’y arrives pas, alors tu ne devras pas désobéir si je te trouve un autre professeur. »

« D’accord ! »

Xie Yi était aux anges. Il pouvait devenir le disciple de Shi Yue !! Celui de Shi Yue !! Il pourrait être près de lui tout le temps !! (Il omettait commodément le fait qu’il y avait une condition attachée à cela, et que c’était une condition pour laquelle n’importe quel enfant normal était destiné à échouer.)

Shi Yue regarda dans la foule, la parcourant jusqu’à ce que Feng Yan apparaisse, puis échangea discrètement quelques mots avec l’homme trapu qui semblait assez gêné et nerveux. Ce n’est qu’après que Feng Yan se soit incliné que Shi Yue se retourna et se dirigea vers l’endroit où des cultivateurs plus âgés se rassemblaient, laissant Xie Yi derrière lui.

Toujours sous le choc, Xie Yi laissa Feng Yan le descendre de l’estrade et l’emmener dans une autre zone où l’un des assistants de la secte s’occuperait de tout pour le préparer à son entrée dans la secte.

Shi Yue regarda le garçon s’éloigner, puis, d’un mouvement de sa manche, se détourna. Le cultivateur qui avait rejeté Xie Yi se tenait sur l’estrade, grinçant des dents en le voyant partir.

Le Grand Maître tendit la main vers son arme à la hanche, la dégaina et la fit planer légèrement au-dessus du sol avant de monter dessus. Avec un bourdonnement discret, elle s’éleva droit vers le haut sous le regard fasciné de la foule.

Le Grand Maître partit pour les nuages, où l’ancien chef de la secte observait les examens de loin, tout en caressant sa barbe.

« Chef de secte, » salua Shi Yue avec une petite révérence.

« Pas besoin de courbettes, » marmonna presque inconsciemment le chef de secte. Shi Yue allait être son successeur — il ne sentait pas qu’il lui devait quelque révérence que ce soit, et il n’avait jamais été du genre à vraiment suivre les relations strictes entre maître et disciple.

Avec des yeux dorés foncés, la couleur habituelle qu’un Maître ou un rang supérieur adopterait, le vieux cultivateur jeta un regard sur le jeune Shi Yue.

Un homme talentueux — bien plus talentueux que quiconque qu’il connaissait. Il était âgé pour un humain mais jeune pour un cultivateur, et pourtant déjà un Grand Maître, tout en gardant un cœur serein et honnête. Sans arrogance, juste noble, son dos toujours droit alors qu’il fixait l’avenir.

Le chef de la secte appréciait vraiment, vraiment son disciple. Il ne voulait pas qu’il commette d’erreurs.

« Pourquoi as-tu accepté ce que ce garçon exigeait ? » demanda-t-il lentement.

Shi Yue savait qu’il ne voulait pas entendre d’explication officielle, mais il commença par là, de toute façon. « Il est assez déterminé pour s’arracher les yeux si cela lui permettait d’entrer dans la secte, » commença-t-il, « ce qui est bien plus de détermination que la plupart des gens n’en ont, et certainement assez pour l’aider à avancer dans ses études. Il n’a pas reculé devant mon pouvoir. Son noyau est peut-être moyen, mais cela ne dit rien de son talent. »

Il hésita un moment après avoir terminé. Le chef de la secte attendit calmement que Shi Yue donne les vraies raisons. « Quand j’ai examiné son noyau, il a tendu la main vers moi. Ce n’est pas quelque chose qu’un enfant non entraîné devrait pouvoir faire. Si c’est instinctif, alors son instinct est terrifiant, et s’il a été enseigné, alors son talent n’en est pas moins remarquable. »

« Intéressant, » murmura le chef de la secte en haussant un sourcil vers Shi Yue. Le cultivateur resta obstinément silencieux, refusant de donner la dernière raison, et le chef de la secte ne le poussa pas davantage.

D’ailleurs… D’ailleurs, Shi Yue ne savait que penser de l’intention derrière ce moment. Leur énergie spirituelle portait toujours l’intention et les sentiments de leur propriétaire, c’est pourquoi les attaques lancées dans la colère étaient plus douloureuses que celles sans émotion. Les cultivateurs expérimentés pouvaient même filtrer l’intention exacte et déterminer ce que c’était, pas seulement si elle était positive, négative ou neutre. Quand le petit avait tendu la main vers lui, c’était si rempli de désir de rester à ses côtés qu’il n’avait pas eu le cœur de refuser.

De plus, il était curieux de savoir ce qui pouvait pousser un enfant si jeune à garder une telle dévotion pour lui dans son cœur. Ajouté à ce qu’il avait dit auparavant, il sentait que ce serait dommage de laisser partir le garçon. Dans tous les cas, s’il n’était pas à la hauteur, il pouvait toujours envoyer l’enfant vers un autre professeur, ou même le faire travailler comme assistant plutôt que comme cultivateur.

« J’ai hâte de voir sa croissance, » déclara le chef de la secte, et Shi Yue acquiesça silencieusement.

***

Dans le pavillon à côté de l’estrade, Feng Yan tiraillait les joues de Xie Yi. « Stupide, inconscient, ignorant, suicidaire de morveux ! » gronda-t-il entre ses dents. Cela aurait été plus menaçant si ses mots n’avaient pas été remplis d’inquiétude. « Te rebeller contre le garde ! Parler de manière irrespectueuse à un Grand Maître ! Essayer de t’arracher les yeux! Exiger des choses des cultivateurs ! Est-ce que tu essayais de te faire tuer ? »

Xie Yi se libéra de l’étreinte de fer, les joues endolories. Il cligna des yeux vers Feng Yan, innocent, ne comprenant pas pourquoi l’homme était en colère. « Mais tout s’est bien passé. »

« Tu aurais pu mourir ! »

« Mais j’avais besoin de devenir son disciple. »

Pas vouloir, avoir besoin. Ne pas pouvoir vivre sans lui. Cela aurait été trop douloureux de rater cette chance.

 

Traduction: Darkia1030