Strong winds - Chapitre 101 - « Si vous êtes malades, vous pourrez vous faire soigner rapidement. »

 

Après le repas, Liang Shu alla spécialement trouver Liu Xianche pour lui demander des détails sur ce qui s’était passé à Chuqiu à l’époque.

« Ce groupe de personnes avait des manières très étranges, mais ce n’était pas une étrangeté sinistre et déplaisante, plutôt un sentiment de détachement aérien et de décalage complet par rapport au monde » se remémora Liu Xianche. « À l’époque, j’ai supposé qu’ils venaient peut-être d’une île isolée de la mer de l’Est, ayant très peu de contacts avec le monde extérieur, si bien que leur langage et leurs comportements différaient nettement de ceux des autres. »

Mais en y repensant maintenant, il était plus probable qu’ils vivaient dans une forêt dense plutôt que sur une île, car tous ces jeunes hommes et femmes avaient la peau très pâle, et même leurs lèvres semblaient dépourvues de toute couleur, ce qui correspondait bien aux symptômes de quelqu’un qui ne voit jamais le soleil.

Liang Shu demanda : « Et sur le plan des manières et du comportement social ? »

« Ils maîtrisaient parfaitement l’étiquette. Même lorsqu’ils furent d’abord chassés par les autres médecins, ils ne se mirent pas en colère, et n’eurent aucun éclat ou querelle ; au contraire, ils quittèrent les lieux avec une politesse ni arrogante ni soumise » répondit Liu Xianche. « Si ceux qui évoluent dans la forêt sont vraiment les mêmes, alors ils devraient être capables de s’asseoir et de discuter des conditions avec Wang Ye. »

*

Les efforts de Liang Shu pour interpeller la tribu de la forêt à l’aide des ailes volantes furent également connus du quartier général de la secte Baifu.

Le temps maussade rendait le hall d'entrée oppressif même s’il était éclairé de nombreuses bougies. Assis au milieu, quelques sorciers de Nanyang vêtus de robes noires attendaient. Ils étaient des invités que Mu Zhe avait payés cher, et qu’il avait rencontrés lorsqu’il errait dans les îles au début de sa jeunesse.

« Le maître de secte Mu pense-t-il que Liang Shu aurait le pouvoir de persuader ces bandits de la forêt ?» demanda une femme d’une vingtaine d’années.

« Persuader ou ne pas persuader, tous finiront morts » répondit Mu Zhe. « Ce n’est pas important. »

La femme rit doucement. Elle n’avait aucune objection à ce que « ceux qui s’opposent meurent », mais contesta le prix de l’effort. Ses yeux pétillants glissèrent vers ses voisins pour signaler : « Maitre de secte Mu, cette fois, nous avons fait bien plus de travail que toi. C’est nous qui avons conçu la capture de Ku You, et pour récupérer l’argent volé, il faudra encore compter sur nous. J’ai entendu dire que ton précieux disciple est resté alité pendant de nombreux jours ; est-il presque rétabli ? »

Mu Zhe répondit : « La secte Baifu ne compte pas que lui comme assassin. »

« Je sais, il y en a un autre » dit la femme en regardant par la fenêtre. Feng Xiaojin passait dans la cour, tenant un bol de médicament. « Mais franchement, il ne semble pas très motivé à servir le maître de secte Mu. »

Feng Xiaojin entra dans la pièce. Wumeng Yunyou était appuyée contre la tête du lit, manipulant un petit oiseau en bois.

« D’où vient cela? » demanda-t-il.

« A-Le l’a acheté quand elle est sortie,» répondit Wumeng Yunyou, lançant l’oiseau sur le lit. « Elle a dit que tout le monde voulait l’avoir, ils disaient que c’était rare, mais je le trouve très ennuyeux.»

Feng Xiaojin sourit et, s’asseyant près de lui, lui tendit le bol de médicament : « A-Le vient souvent te tenir compagnie ces temps-ci. »

« Oui » dit Wumeng Yunyou. « Comme moi, elle n’a rien à faire en ce moment. »

Sous l’assaut de Liang Shu et des forces de la garnison du sud-ouest, la secte Baifu avait suspendu presque toutes ses activités extérieures, laissant la Sainte Vierge sans occupation. Feng Xiaojin commenta : « C’est très bien ainsi. »

« J’ai entendu dire que le Maître a capturé Ku You » dit Wumeng Yunle en rendant le bol vide. « L’a-t-il déjà tué ? »

« Il est encore utile pour le moment» répondit Feng Xiaojin. « Tous ceux qui entrent dans la secte Baifu doivent être exploités jusqu’au dernier souffle de leur valeur avant de mourir. »

Wumeng Yunle ne comprit pas la portée exacte de ses mots et se redressa lentement en s’appuyant sur sa blessure, fronçant les sourcils : « Hss… je voudrais aller voir. »

« Voir quoi ? Pour observer à quel point Ku You est humilié ? »

Wumeng Yunle ne nia pas ; au fil des années, l’ensemble de la secte Baifu avait beaucoup souffert à cause de Ku You. Couplé à l’exagération délibérée de leur doctrine, tout le monde le détestait profondément. Voir cet homme enfermé dans la prison de la secte Baifu excitait naturellement la curiosité.

Feng Xiaojin secoua la tête : « Tu as grandi. Il n’est plus nécessaire de chercher ces divertissements enfantins. »

« Je voudrais faire quelque chose de moins puéril, mais hélas.» Wumeng Yunle tapota sa blessure d’un air ennuyé. « Petit oncle, cette fois, le Maître de secte a capturé Ku You. Liang Shu sera furieux ; si jamais il s’acharne contre nous… hm, les deux camps n’en souffriront-ils pas? »

« Alors je partirai et vous conduirai, toi et Yunle, loin d’ici » répondit Feng Xiaojin calmement.

Wumeng Yunle ouvrit de grands yeux ; jamais il n’avait envisagé une telle issue : «Partir ? »

Feng Xiaojin hocha la tête : partir.

Même si la vie de ces deux frère et sœur après leur départ devait être aussi brève qu’un feu d’artifice, ils ne mourraient pas dans une guerre cruelle, ni par l’épée de Liang Shu, mais dans leur propre environnement, au cœur des montagnes verdoyantes et magnifiques du sud-ouest.

*

Ku You était retenu dans une cellule sombre non loin de là. Ses yeux restaient voilés par une gaze argenté, et il ne pouvait rien voir, devant se fier uniquement à son ouïe.

Les pas d’une jeune fille étaient distincts de ceux d’un homme adulte : légers, agiles. Le froissement des tissus de sa jupe résonna, des bracelets en argent tintant à son poignet. Le gardien, la voyant, s’inclina prestement : « Sainte Vierge. »

« Ouvre la porte de la cellule » ordonna Wumeng Yunle. « Je veux entrer. »

Le gardien, hésitant, n’osa pas désobéir ; après plusieurs secondes de doute, il défit les chaînes et fit un signe discret à ses compagnons d’aller rapporter l’événement au Maître.

Wumeng Yunle ignora leurs gestes furtifs et se pencha pour entrer dans la cellule. Elle avait entendu le nom de Ku You il y avait bien longtemps et savait qu’il était le troisième ennemi de la secte Baifu après Liang Yu et Liang Shu, né dans une tribu nomade du Nord-Ouest, au visage presque démoniaque, mais revendiquant la justice.

Elle regarda le jeune homme aux cheveux argentés dans l’ombre, et soudain lui arracha le tissu argenté masquant ses yeux.

Elle voulait voir les prétendus yeux dorés maudits, mais fut elle-même surprise. Au moment où le voile tomba, elle laissa échapper un petit cri et recula de quelques pas, faisant tomber un poignard aiguisé de sa manche. Elle n’avait jamais imaginé qu’il pouvait exister des yeux pareils, semblables à une montagne d’or sous le soleil, mais aussi à une étrange bête que l’on ne voit que dans un tableau.

Ku You tourna son regard vers elle. Ses yeux semblaient froids, mais ses pupilles étaient encore vacillantes et indéfinies.

Wumeng Yunle respira, rangea son poignard dans le fourreau et murmura : « Je pensais que tu pouvais voir. »

Ku You demanda : « Es-tu venue négocier des conditions avec moi ? »

« T’interroger est la tâche du Maître de secte » répondit Wumeng Yunle en s’asseyant en face de lui. « Je suis seulement venue parce que je m’ennuyais, alors je suis venue jeter un œil. J’ai entendu dire que c’est toi qui as signé de ta propre main l’ordre visant à nous exterminer jusqu’au dernier. »

« Une secte démoniaque ne doit-elle pas être mise à mort ? » répliqua Ku You.

« Démoniaque ou non, n’est-ce pas déterminé par une seule phrase de votre empereur ? » Wumeng Yunle le fixa. « Pourquoi vivre lorsqu’on vous suit, et mourir lorsqu’on nous vénère ? »

« Cette phrase n’est pas totalement fausse : vénérer les vôtres mène en effet à la mort » dit Ku You. « Toutefois, ce n’est pas la Cour qui les condamne, mais toi, ainsi que la prétendue Sainte Mère de Baifu derrière toi. Combien de citoyens innocents as-tu séduits, au point qu’ils ont abandonné tout métier honnête, laissé leurs champs en friche, vendu femmes et filles, simplement pour obtenir une entrevue avec toi, afin d’échanger leur avenir contre une éternité apocalyptique, pour une doctrine aussi vile et absurde. Et tu penses encore ne pas être ‘démone’?»

Wumeng Yunle fut mécontente : « C’est eux qui ont voulu offrir leurs richesses et leurs proches en échange de leur propre éternité, et non parce que je les aurais noyés d’illusions.»

Elle jeta la gaze d’argent qu’elle tenait sur le jeune homme : « Lorsque tu pourras voir mon visage, tu ne parleras plus avec un tel manque de respect, mais, comme les autres, tu te mettras à genoux, craintif et inquiet. »

Ku You ferma les yeux et lança avec mépris : « Tu aides le tigre à faire du mal (NT : idiome, servir le mal et lui prêter main-forte). »

Les principes inculqués à Wumeng Yunle depuis l’enfance lui enseignaient que tous les hommes devaient se soumettre à la compassion et à la beauté de la Sainte Mère de Baifu. Elle porta la main à sa joue, irritée que l’autre soit un aveugle, puis se retourna pour partir. Mais elle se souvint soudain d’autre chose et demanda : « As-tu déjà rencontré Liu Nanyuan? J’ai entendu dire qu’elle était d’une grande beauté. »

« Je ne l’ai jamais vue » dit Ku You. « Mais tous les militaires en poste souhaitent la voir, et cela n’a rien à voir avec la beauté du visage. Les insectes venimeux sont innombrables dans le sud-ouest ; la troisième demoiselle Liu apporta trois grands chariots entiers de baumes rafraîchissants qu’elle distribua gratuitement, et elle fit également copier en grand nombre les recettes qu’elle avait soigneusement élaborées pour les envoyer aux médecins itinérants des différentes régions du sud-ouest. En ce sens, s’il faut parler de réincarnation d’une Bodhisattva de compassion, ce n’est certainement pas à toi, femme-démon, que reviendrait ce titre. »

Wumeng Yunle fut furieuse : « Je trouverai quelqu’un pour guérir tes yeux ! »

« Ainsi, l’unique arme dont tu peux te targuer, n’est rien d’autre qu’un visage vide» répondit froidement Ku You. « Quand bien même tu serais plus belle que la troisième demoiselle Liu, qu’est-ce que cela changerait ? »

Wumeng Yunle ne voulut plus lui adresser de paroles. Elle se retourna et courut hors de la pièce, mais au lieu d’aller chercher Feng Xiaojin et Wumeng Yunyou, elle se précipita dans la demeure de Liu Hengchang — qui était, selon elle, le seul médecin susceptible de l’aider.

*

À l’extérieur de la Vallée Shimian Gu, Gao Lin mâchonnait un gâteau aux graines de sésame, l’estomac noué. Tout en mangeant, il observait le ciel et pensait que Ku You devait à présent être suspendu et battu. Son anxiété augmentait, et il demanda à sa sœur : « Cela fait déjà le troisième jour. Cette stratégie du prince peut-elle fonctionner ? »

« Même si elle ne fonctionne pas, demain l’armée pourra abattre la forêt et entrer dans la montagne. Pourquoi t’affoler ? » répondit Cheng Suyue. « S’ils ne sortent pas par ruse, nous entrerons par la force. Même si ceux qui vivent dans la forêt sont réellement des immortels, du moment qu’ils ne sont pas du même clan que le Second Jeune Maître Liu, ils ne pourront rien contre notre prince. »

Le nez de Liu Xianan le démangea tant qu’il éternua une série entière de fois dans la cour, étourdi et incapable de bouger un moment. De loin, Liang Shu, le voyant immobile, pensa qu’il s’était encore endormi, les genoux dans les bras. Il s’apprêtait à sortir pour le ramener lorsque qu’un soldat dévala jusqu’à la porte en criant : « Rapport—— »

Son cri brusque fit sursauter Liu Xianan, qui leva la tête juste au moment où une ombre noire fonçait droit sur lui. Il en resta stupéfait. Le soldat, lui, ne remarqua qu’au dernier instant qu’il avait quelqu’un sur son chemin ; voulant s’arrêter, il n’en eut pas le temps et ne put que pousser des « ah, ah » affolés. Au moment critique, Son Altesse Royale le prince Xiao surgit du ciel, ramassa son fidèle paresseux dans ses bras et soutint d’une main le soldat qui piétinait sur ses propres pieds.

« Prin-, prin-, prin-… » Le soldat, encore sous le choc, mit un moment avant d’enchaîner : « Prince, les gens de la forêt sont réellement arrivés. Ils sont venus en une immense troupe !»

Quant à savoir ce que signifiait exactement « immense », il était difficile de le décrire, mais lorsque leurs vêtements blancs comme neige virevoltèrent et qu’ils sortirent de la forêt en une masse majestueuse, la première réaction de la patrouille fut de penser que les suona cérémonielles de Wang Ye avaient été si efficaces qu’elles avaient agacé la tribu au point de les faire déménager au complet.

En avançant à grands pas, Liang Shu demanda : « À quoi ressemblent-ils ? »

« Pour répondre au prince : ils sont tous d’une beauté remarquable et d’une grande élégance dans leurs paroles » dit le soldat. « Ils ressemblent un peu aux deux jeunes maîtres de la famille Liu. »

Beaux et distingués. Liu Xianan pensa : ah, cette fois, Frère aînéva vraiment être échangé contre une montagne d’or.

Gao Lin et Cheng Suyue avaient reçu la nouvelle avant les autres et arrivaient presque déjà dans le hall d’entrée. En jetant un coup d’œil au loin, Gao Lin saisit soudain le poignet de sa sœur : « Ne bouge pas. Dis-moi si je me trompe, mais je crois voir quelqu’un portant un enfant. »

Cheng Suyue répondit : « Ils ne tiennent pas seulement un enfant dans leurs bras. »

Au milieu se trouvait un vieillard aux cheveux aussi blancs que la neige, un véritable ancien aux moustaches traînant presque au sol. Et même une femme au ventre très rond. Pourquoi une femme enceinte participait-elle à un tel déplacement ? Elle commenta avec admiration : « Pour ceux dont les routes sont pavées d’or massif, rien n’est ordinaire. Je révise mon jugement : pour une telle scène, notre prince risque de ne pas suffire ; il faudra laisser Second Jeune Maître Liu s’en charger. »

Le soldat chargé de l’accueil était lui aussi extrêmement respectueux devant ce groupe, trouvant qu’ils ne ressemblaient en rien à une tribu sauvage de la forêt, mais plutôt à des immortels. Et puis, en se rappelant que ces “immortels” avaient un jour dérobé l’or et l’argent de Mu Zhe, et qu’ils lui avaient même blessé le bras, son respect devint encore plus profond. Il joignit les mains comme un lettré et déclara d’une voix forte : « Honorables invités, veuillez prendre du thé. Notre Prince arrive immédiatement. »

L’un d’eux demanda pourtant : « Nous avons entendu dire que le premier jeune maître Liu de la Résidence Baihe se trouvait également ici ? »

« Oui, non seulement le premier jeune maître Liu, mais aussi le second jeune maître Liu » répondit le soldat avec enthousiasme. « Ainsi, si quelque noble invité souffre d’une maladie, il peut cette fois se faire soigner sans crainte. »

Gao Lin resta debout à la porte et poussa un long soupir de détresse.

Comment dire… le niveau de culture de toute l’armée de Dayan chutait vraiment sans fin.

C’était comme un fleuve se jetant dans la mer et ne revenant plus (NT : métaphore pour irrémédiablement perdu).

Il y avait urgence à l’améliorer, grande urgence.


Traducteur: Darkia1030